Le projet, deux ans après !
Le projet Réacteur Numérique vient d’atteindre ses deux ans de développement depuis son lancement en janvier 2020. Pour rappel, ce projet de la filière nucléaire soutenu par le GIFEN, Groupement des Industriels Français de l'Energie Nucléaire, regroupe 8 partenaires industriels et académiques : EDF, CEA, Framatome, CORYS, ESI Group, CNRS, Axone et AFNET services.
Ces 8 partenaires ont pour ambition de développer le jumeau numérique à l’échelle d’un réacteur nucléaire existant, c’est-à-dire une image simulée de ce réacteur, couvrant les phases de conception, d’exploitation et de déconstruction.
En fin d’année 2021 lors de la revue d’Étape Clé organisé à EDF Lab Paris Saclay en présence des partie prenantes du projet, BpiFrance a validé le premier jalon du projet et la poursuite de son financement. Ainsi, ce premier jalon vient valider les premiers travaux et résultats obtenus par le consortium.
Les démonstrateurs
Cette revue a été l’occasion pour les contributeurs de présenter les premières versions des démonstrateurs développés dans le projet Réacteur Numérique.
- Un banc d’intégration de simulation avancée de la physique du réacteur
- Un banc d’intégration exploitation représentatif de l’état courant de chaque réacteur du parc
- Un simulateur d’entraînement doté d’un dispositif de visualisation des phénomènes physiques.
- Une plate-forme d’orchestration de services de simulation s’appuyant sur les bancs précédents permettant d’offrir des services sécurisés, facilement accessibles à distance, aux acteurs de la filière nucléaire.
Interview de Anthime FARDA (CEA) sur le Banc d’Intégration de simulation avancée
Quel est l’objectif du démonstrateur ?
Le banc d’intégration de simulation avancée pour les études a pour objectif de développer un jumeau numérique d’un réacteur nucléaire, c’est-à-dire une image simulée de ce réacteur pour les études. Ce banc d’intégration est composé :
- Des codes de calcul qui simulent les différentes physiques qui entrent en jeu à savoir la neutronique, qui est la physique nucléaire à l’intérieur du cœur du réacteur et la thermo-hydraulique qui simule les écoulements et les changements de température et ceci à plusieurs échelles (système, composant ou local),
- Du coupleur C3PO, Collaborative Code Coupling PlatfOrm, qui fait fonctionner ces codes ensemble afin qu’ils s’échangent des données,
- D’un modèle de données EFICAS, qui met en commun toutes les données nécessaires pour les différents codes et facilite grandement la mise en données des études et le choix des couplages de code à effectuer.
Où en êtes-vous ? Quelles sont les innovations depuis le lancement du projet ?
Aujourd’hui, nous avons déjà développé une première version de la plate-forme de couplage pour faire fonctionner ensemble, les codes de calcul qui modélisent la physique du réacteur nucléaire. Cette plate-forme de couplage est composée de deux éléments, à savoir le coupleur C3PO développé par le CEA et la mise en données EFICAS développée par EDF.
Ces éléments, mis ensemble, permettent de coupler à la fois les codes de calcul APOLLO3® et FLICA4, du CEA, ou les codes de calcul COCAGNE et THyC, développés par EDF et FRAMATOME.
Au-delà de l’apport pour la connaissance physique du réacteur, le fait de pouvoir réaliser ces couplages dans le banc d’intégration permet de tester notre capacité à utiliser les moyens de calcul plus poussés type HPC (High Performance Computing).
APOLLO3® et COCAGNE sont des codes de neutronique
FLICA4 et THyC sont des codes de thermo-hydraulique à l’échelle du composant.
Quelles sont les prochaines étapes ?
La prochaine étape est de développer la deuxième version de notre banc d’intégration pour les études, qui doit, au-delà des couplages de codes, permettre d’associer un certain nombre de services, à savoir la réalisation d’études pour les ingénieurs en intégrant la propagation des incertitudes pour la validation et/ou les justificatifs de qualification de ce type de calcul.
Des cas d’usages d’études de fonctionnement (îlotage du réacteur) et de dimensionnement (études d’incident de Rupture de Tuyauterie Vapeur) seront développés et serviront de démonstrations pour présenter l’outil aux futurs utilisateurs. La nouvelle version est prévue d’être installée à DIPNN/DT en octobre 2022.
Interview de David PIALLA (EDF – Direction Technique) sur le Banc d’exploitation
Quel est l’objectif du démonstrateur ?
L’objectif du banc d’exploitation est de mettre à disposition des études et de l’exploitation une réplique « exacte » d’un réacteur. Ce banc adresse aussi bien des besoins d’ingénierie et d’études que des besoins de formation/entraînement pour les exploitants.
La difficulté des travaux réside dans le fait que les missions à remplir sont très diverses. Le banc d’exploitation doit couvrir un domaine de fonctionnement du réacteur très large et des physiques très variées : de 100% de sa puissance nominale aux états d’arrêts, pour le fonctionnement normal, incidentel et accidentel.
Où en êtes-vous ? // Quelles sont les innovations depuis le lancement du projet ?
Une des innovations importantes est la représentativité d’une tranche cible et non d’un modèle générique palier.
Nous avons déjà identifié les items pour particulariser les différentes tranches en exploitation, en regard des éléments requis pour mieux les modéliser, et ceci en particulier pour les modèles chaudière et de neutronique, qui sont des modèles basés sur les codes ETUDES en exploitation industrielle.
Cela se traduit par la mise en œuvre au sein du simulateur par exemple d’un RGV (Remplacement d’un Générateur de Vapeur) et d’un changement de combustible pour correspondre à une campagne de production donnée.
Ces étapes sont indispensables pour que le simulateur généré à partir du banc d’exploitation soit le reflet d’une tranche cible en exploitation.
Nota : Les simulateurs actuels sont représentatifs d’une tranche par palier.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Les prochaines étapes sont multiples :
- Réduction de Modèle appliquée à des codes de thermohydraulique pour optimiser les ressources de calcul utilisées et intégrer ce modèle dans la configuration d’ensemble ;
- Intégration de la nouvelle version du code système CATHARE_3 via le standard FMI v2.0, pour le modèle chaudière ;
- Extension du domaine aux Accidents Graves (domaine non couvert aujourd’hui par les simulateurs de formation ou d’ingénierie à EDF) ;
- Valorisation des données site pour les injecter dans les modèles du banc d’exploitation, afin de correspondre à une tranche donnée et à des situations réelles d’exploitation ;
- Accostage du banc d’exploitation avec les travaux de visualisation avancée pour un meilleur apport pédagogique de la visualisation des écoulements dans le périmètre de l’ilot nucléaire.
Interview de Dounia LAHOUAL, Nicolas BUCKEL et Fabien DORY (EDF) sur le simulateur d’entrainement
Quel est l’objectif du démonstrateur ?
Avec le simulateur d’entrainement du réacteur numérique, l’opérateur dispose d’un outil simple d’utilisation et accessible sur les postes de travail pour s’entraîner en toute autonomie. Ce dispositif complète l’écosystème de formation proposé à ce jour par l’UFPI notamment. L’opérateur peut s’entraîner sur le jumeau de sa tranche initialisé avec les données d’exploitation et non sur une tranche représentative de son palier.
Les éléments nécessaires à la conduite de la tranche sont disponibles sur un des écrans ; le deuxième écran propose la visualisation des phénomènes physiques.
Ce module de visualisation avancée permet d’améliorer la compréhension de ce qui se passe dans le réacteur de façon pédagogique et intuitive. Le premier prototype représente les phénomènes thermo-hydrauliques dont le rendu visuel est en cours d’affinage avec les opérateurs de conduite, parties prenantes dans le projet.
Où en êtes-vous ? Quelles sont les innovations depuis le lancement du projet ?
Après une phase d’analyse FOH finalisée en 2021 pour identifier et préciser les besoins liés à ce simulateur d’entraînement dont la visualisation, nous avons analysé de façon qualitative et quantitative les évènements sûreté des dix dernières années afin de prioriser les développements et pouvoir tester un prototype dès 2022. Les opérateurs commencent les entraînements sur la phase d’exploitation sensible qu’est le collapsage de la bulle dans le pressuriseur lors de l’arrêt d’un réacteur.
Les représentations existantes avant le projet Réacteur Numérique sont des modèles éclatés des composants et des circuits en 2D. Grâce au modèle 3D sur lequel nous travaillons, la représentation est plus réaliste, les géométries, altimétries et connexions correspondent à ce qui est vraiment présent dans nos centrales. Les représentations physiques existantes en thermohydraulique sont améliorées pour les différents écoulements diphasiques.
Quelles sont les prochaines étapes ?
La prochaine étape sur 2022 consiste en des évaluations du prototype par les utilisateurs pour vérifier qu’il réponde parfaitement à leurs besoins : simplicité d’utilisation, clarté des interfaces, représentativité des visualisations visant à améliorer la compréhension des phénomènes.
Nous comptons finaliser au premier semestre 2022 les derniers développements de thermohydraulique (les écoulements sous forme de « bouchons ») et nous travaillons en parallèle sur les métaphores (représentation) de la neutronique.
Le retour d’expérience de ce premier prototype sera pris en compte et servira de base pour développer un second transitoire d’exploitation, demandé par les exploitants : la vidange du circuit primaire.
Interview de Jean-Pierre CAZEAUX (ESI Group) sur la plate-forme de Services
Quel est l’objectif du démonstrateur ?
Ce démonstrateur a pour objectif de fournir un portail web sécurisé donnant accès aux services de simulations avancées développées dans le cadre du projet Réacteur Numérique. Cette plateforme sera accessible pour des clients externes et permettra pour les partenaires du projet de facturer les services proposés.
La solution cloud VisualDSS d’ESI Group fait partie des options envisagées pour la mise en œuvre de cette plateforme.
Où en êtes-vous ? Quelles sont les innovations depuis le lancement du projet ?
Une première analyse fonctionnelle de plateforme a été réalisée en 2020 pour identifier et préciser les besoins des différents utilisateurs du projet. À partir des exigences, un cahier des charges d’architecture technique a été élaboré. Afin de valider certaines options et orientations, des POC sont mis en œuvre pour tester les différents outils candidats.
Par exemple, ESI Group a prouvé qu’avec VisualDSS il est possible :
D’intégrer des logiciels tiers : solveurs ou applications interactives avec un service de visualisation déportée ;
De lancer des calculs ;
D’automatiser certaines transactions ;
D’offrir un module de gestion de données de simulation.
Il est à noter une innovation sur la propagation du changement : la constitution de graphes de dépendance des études. En cas de changement de composant ou de certaines données d’entrée telles que la modification d’une exigence, le système est en mesure d’identifier quelles sont les études impactées et les calculs potentiellement à reprendre.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le développement de la première version du portail web donnant accès aux services de simulation avancées offerts par les bancs d’études et d’exploitation décrits précédemment est attendu en 2022.
La sécurisation de la plateforme (cybersécurité) constitue l’un des enjeux clefs du produit pour son adoption par tous. Les objectifs visés sont la protection des données d’étude des futurs clients et la préservation de la propriété intellectuelle des codes développés par les partenaires. Les compétences de tous les partenaires sont essentielles sur ce sujet.
L’accessibilité à distance et l’intégration des cas d’usages développés par le simulateur d’entraînement et/ou le banc d’intégration dédié aux études d’ingénierie valideront l’architecture technique de la plateforme.