Le changement climatique : un enjeu majeur traité par la R&D
Respectivement spécialisés en météorologie et en hydrologie, Sylvie Parey et Frédéric Hendrickx font partie des experts du climat et de la ressource en eau à la R&D d’EDF. Leurs recherches revêtent une importance croissante. Explications.
Pourquoi la R&D d’EDF fait-elle appel à des experts du climat ?
Sylvie Parey : La R&D d’EDF s’est intéressée à la question du climat dès les années 1990 alors que la thématique émergeait à peine. À l’époque la R&D avait bien anticipé le fait que cette question risquait d’avoir des impacts sur les activités du groupe EDF. Puis est venue la canicule de 2003 et on s’est aperçu qu’on allait avoir affaire à des conditions météorologiques jamais rencontrées jusqu’alors. Il allait donc falloir ajuster l’exploitation de nos moyens de production d’électricité et suivre l’évolution des connaissances en matière de climat pour savoir ce qui allait changer de façon certaine et dans quel sens. Notre rôle consiste donc à estimer à quel niveau d’aléas climatiques nous allons être soumis et comment EDF peut adapter ses activités.
Dans quelle mesure le climat est-il en train de changer et quel impact cela a-t-il sur l’environnement ?
Sylvie Parey : Outre l’augmentation du niveau de la mer, il y a un impact clair sur la température de l’air. On observe d’un côté une tendance de fond à l’augmentation mais le climat est variable aux échelles interannuelles à décennales, et cette variabilité peut soit atténuer cette augmentation, soit la renforcer sur quelques années.
Outre l’augmentation du niveau de la mer, il y a un impact clair sur la température de l’air.
Frédéric Hendrickx : Sur le cycle hydrologique, les incidences sont mécaniques. L’air devenant plus chaud, davantage d’eau du sol pourra repartir vers l’atmosphère par évapotranspiration. Ce surplus d’eau évaporée ne contribuera plus au débit des rivières et cela explique en grande partie la baisse des débits, notamment en période estivale. Le manteau neigeux est aussi impacté par le réchauffement en apparaissant plus tardivement et disparaissant plus tôt. Cela modifie la saisonnalité d’écoulement des eaux. En revanche, nous sommes moins sûrs de l’évolution du régime des précipitations, pour lequel il subsiste encore de grandes incertitudes.
Sylvie Parey : En effet, les modifications ne sont pas forcément claires et cela dépend des endroits du globe. La connaissance du climat est en perpétuelle évolution, d’où la nécessité d’y consacrer une grande attention.
Quelles sont les principales projections d’ici 2050, date à laquelle nous devons atteindre la neutralité carbone ?
Sylvie Parey : À l’échelle 2050, les projections ne dépendent plus beaucoup de la façon dont nous allons continuer à émettre des gaz à effet de serre parce qu’une grande partie est déjà imprimée dans l’atmosphère. Il faut s’attendre à une augmentation de la température de l’air d’au moins 1,5 à 2°C. Il est essentiel d’agir maintenant pour limiter au strict minimum ce réchauffement car nous pourrions déclencher des situations de non-retours. Au-delà de 3°C de réchauffement global, des phénomènes irréversibles peuvent se produire comme, par exemple, la fonte complète de la calotte glaciaire du Groenland. De tels points de basculement existent dans le système climatique et il est impératif de les éviter, d’où la nécessité d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Ces changements peuvent-ils impacter le groupe EDF ?
Frédéric Hendrickx : Concernant la ressource en eau, on sait qu’à l’horizon 2050, il y aura de l’ordre de 10 % d’écoulement en moins en moyenne sur la France. Cela aura un impact sur l’énergie produite par le parc hydraulique. Avec la fonte des neiges qui commencera plus tôt combinée au fait qu’une partie de l’eau sera reprise davantage par l’évapotranspiration, on rentrera en période estivale avec des débits significativement moindres. Cette raréfaction de l’eau en période estivale va tendre encore plus la question du partage de l’eau en France et des secteurs comme l’agriculture vont être de plus en plus demandeurs. EDF a jusqu’ici une forme d’indépendance vis-à-vis des autres usagers de l’eau et nous gérons des réservoirs pour le système électrique (après avoir garanti certaines exigences réglementaires, comme les débits réservés et les côtes touristiques pour certains plans d’eau), que ce soit pour la production hydroélectrique ou pour les besoins de la production nucléaire (refroidissement des centrales).
Le dialogue entre les différents usagers de l’eau, énergétiques et non énergétiques, devra être renforcé. C’est un vrai challenge avec les objectifs de neutralité carbone et le développement des moyens de production photovoltaïques et éoliens : lorsque le soleil et le vent ne sont pas présents, les énergies hydraulique et nucléaire sont des moyens de production bas carbone flexibles permettant de gérer cette intermittence. La question de la gestion de toutes ces exigences de concert est au cœur des réflexions qui sont conduites actuellement dans nos projets.
Comment vos recherches sont-elles appliquées au groupe EDF ?
Sylvie Parey : Prenons l’exemple du nucléaire. Après la canicule de 2003, il y a eu un grand programme d’adaptation du parc avec notamment la mise en place d’une veille climatique. L’idée était d’extrapoler les températures les plus élevées et d’évaluer l’impact du changement climatique sur les niveaux d’aléas de référence utilisés pour dimensionner nos moyens de production et leur exploitation. Cela a permis à nos collègues de l’ingénierie de proposer des modifications des procédures d’exploitation permettant d’adapter l’exploitation des installations à ces nouvelles conditions météorologiques.
Frédéric Hendrickx : Nos travaux alimentent à la fois des décisions pour le court terme (adaptation de la gestion actuelle aux évolutions constatées) et pour le long terme (investissement dans le parc de production). La gestion optimisée de l’appel à la production du parc hydraulique en France par la Direction Optimisation Amont Aval Trading se fait désormais en tenant compte de la dérive des régimes hydrologiques.
Les conditions de fonctionnement des condenseurs de nos centrales nucléaires en bord de rivière sont évaluées en tenant compte des évolutions attendues des débits et des températures de l’eau jusqu’à la fin du siècle, des options technologiques de refroidissement et des limites règlementaires. Ces informations alimentent l’élaboration du dossier d’offre pour les projets d’EPR2 (European Pressurized Reactor) en bord de rivière.
Nos travaux alimentent à la fois des décisions pour le court terme (adaptation de la gestion actuelle aux évolutions constatées) et pour le long terme (investissement dans le parc de production).
Quelle place occupe la climatologie au sein d’EDF et comment envisagez-vous son avenir au sein du groupe ?
Frédéric Hendrickx : Lors de nos débuts de carrières, dans les années 1990-2000, la question était essentiellement traitée à la R&D et nous avions un rôle de sensibilisation de l’entreprise au sujet du climat et de son évolution. Après la canicule de 2003, EDF toute entière s’est clairement emparée de la question comme en témoigne le plan d’adaptation au changement climatique qui en a découlé. On est passé à un véritable déploiement du travail de recherche incluant des réflexions méthodologiques. Nous n’émettons plus des simples recommandations. Nous travaillons en partenariat avec l’ingénierie et les autres directions opérationnelles !
L’ingénierie est de plus en plus autonome sur la question pour répondre aux besoins opérationnels, mais nous restons bien entendu toujours présents sur ces sujets où subsistent encore de nombreux verrous scientifiques, comme l’évolution de certains extrêmes ou l’adaptation des simulations climatiques à des échelles spatiales et temporelles fines en respectant les cohérences physiques.
Nous n’émettons plus des simples recommandations. Nous travaillons en partenariat avec l’ingénierie et les autres directions opérationnelles !
Sylvie Parey : Un nouveau mode de fonctionnement est en train de se mettre en place et va se généraliser. Dans l’ensemble des décisions qui vont être prises au niveau du groupe EDF, le changement climatique et ses impacts seront pris en compte. Charge à nous de préparer au mieux les données climatologiques qui sont indispensables et de continuer à suivre de près l’évolution des connaissances !
Expert du climat à la R&D d’EDF
Être chercheur spécialiste du climat à la R&D d’EDF consiste à avoir une mission d’expertise sur le système climatique, sa modélisation, son fonctionnement et son évolution en réponse à l’augmentation de la concentration en gaz à effet de serre dans l’atmosphère due aux activités humaines. Cela consiste également à mener des études d’impact du changement climatique sur les activités d’EDF, avec une spécialisation sur la caractérisation des extrêmes et de leur évolution.
Expert de la ressource en eau à la R&D d’EDF
Être chercheur spécialiste de la ressource en eau à la R&D consiste à avoir une mission d’expertise autour de la ressource en eau, sa dépendance au climat, sa modélisation, sa prévision et sa projection sous l’effet de l’évolution du climat. Cette expertise permet notamment la réalisation d’études sur les bassins versants français et aborde la question de la raréfaction de la ressource en eau, de sa gestion et de son partage entre les différents usages (parc hydraulique et nucléaire d’EDF, agriculture, etc).