La complémentarité des énergies renouvelables et du nucléaire, des compétences croisées à la R&D
La flexibilité du mix énergétique, c'est un enjeu pour le système électrique dans son ensemble, qui évolue déjà avec l'insertion des EnR variables, mais aussi avec les évolutions de la consommation – par exemple avec le développement des véhicules électriques, des pompes à chaleur, de la domotique. De plus, des nouvelles technologies comme les réseaux électriques dits intelligents, ou encore le stockage d'électricité peuvent impacter la gestion du système électrique et la structure de son mix de production. Découvrez les thématiques de recherche de la R&D.
Zoom sur les travaux de la R&D
Interview d’Étienne Brière - Directeur de Programme Énergies Renouvelables- Stockage et Environnement R&D; Alain Le Gac - Directeur R&D Production et Ingénierie; Valéry Martin - Responsable programme de recherche Systèmes Électriques et Marchés R&D
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Des modèles pour se projeter dans l’avenir des systèmes électriques
Au sein de la R&D d’EDF depuis onze ans, Caroline Bono est experte en modélisation et analyse prospective du système électrique européen. Une de ses missions : concevoir des modèles numériques qui s’appuient sur le fonctionnement du système électrique actuel et son évolution dans le futur, pour mieux anticiper l’avenir pour les métiers d’EDF.
Algorithmes, codes de calcul, modélisation… un univers bien mystérieux pour le profane, une réelle passion pour Caroline Bono ! Son diplôme d'ingénieur en poche, suivi d'un PhD en ingénierie mécanique et calcul scientifique de l'Université du Michigan, c'est en Californie, au sein de deux laboratoires du Department of Energy (DOE) qu'elle fait ses premières armes. « Mon travail consistait à développer des méthodes numériques pour des codes de calcul en mécanique des fluides, pour la simulation du climat notamment, ainsi qu'en mécanique des solides, sur la modélisation des séismes par exemple. »
En quête d'une recherche plus appliquée
De retour en France, elle rejoint le groupe EDF, dans le département OSIRIS (Optimisation, SImulation, RIsques et Statistiques pour les marchés de l'énergie), pour travailler sur l'insertion des énergies renouvelables (éolien, solaire) dans le système électrique européen et sur son impact sur la gestion des moyens de production. « L'énergie est un domaine fondamental. Les problématiques sur lesquelles je travaillais au DOE étaient déjà liées à l'énergie, mais sur un mode plus académique. Ici, mes recherches ont une application directe. J'ai le sentiment d'apporter des réponses immédiatement utiles. Cela me donne aussi une ouverture sur un spectre très large de métiers, ce qui est très enrichissant ! » Pour répondre aux besoins des métiers du nucléaire au sein d'EDF, elle pilote les études sur la complémentarité à long terme des EnR avec le nucléaire pour déterminer les prérequis et les implications en termes de manœuvrabilité pour le parc nucléaire français, mais également pour les nouveaux réacteurs. En d'autres termes, il s'agit d'analyser la façon dont pourrait évoluer le système électrique dans sa globalité, en prenant en compte l'insertion massive des énergies renouvelables intermittentes comme le solaire et l'éolien, mais aussi l'évolution de la demande, les impacts du changement climatique… et de voir ce que cela implique en termes de flexibilité notamment, pour l'exploitation des centrales aujourd'hui, et demain. « Nous travaillons ainsi avec les métiers de l'exploitation, mais aussi ceux de l'ingénierie, lors de la conception des futurs réacteurs nucléaires. » Une démarche prospective, qu'elle apprécie particulièrement, et qui a abouti à l'outil Mandarine*, primé aux trophées de la R&D en 2017 (cf. infographie). « Mandarine est l'exemple le plus visible de ce travail d'analyse prospective. Il s'est construit petit à petit, au fil des ans et des demandes de nos clients internes. Ce qui fait l'essence de cet outil, c'est sa capacité à représenter de manière très fine la façon dont le parc nucléaire fonctionne pour répondre aux questions qui nous sont posées, et aider les différents métiers à anticiper l'avenir… Une grande fierté ! »
Construire le système électrique de demain, à l'échelle européenne
Le système électrique de demain ne se limite pas aux frontières de l'hexagone. C'est pourquoi la chercheuse participe également à plusieurs projets européens. Le projet Siderwin notamment, dont l'objectif est la réalisation d‘un pilote et un modèle d'un procédé innovant de fabrication décarbonée de l'acier (l'électrolyse électro-intensive). « Notre contribution consiste ici à éclairer le rôle que ce nouveau procédé pourrait avoir dans un système électrique comportant beaucoup d'EnR. » Mais surtout le projet EU-Sysflex, qui vise à proposer une feuille de route pour la flexibilité du système électrique européen dans le cadre des scénarios de référence de l'Union européenne aux horizons 2030 et 2050. Une réflexion menée avec de nombreux partenaires européens industriels et académiques. « Il s'agit d'anticiper les implications techniques et économiques, d'identifier les prérequis, les verrous à lever… Dans ce domaine, tout est interconnecté et chacun apporte son éclairage... C'est passionnant et très motivant de contribuer ainsi à la construction du système électrique de demain ! »
*Mandarine : Modèle d'ANalyses De FondAmentaux FRance INterconnectéE
Autre outil R&D très important pour faire avancer la recherche sur le sujet de la flexibilité du mix énergétique, le démonstrateur Virtual Power Plant, situé sur le site EDF Lab les Renardières, au cœur de la plateforme Concept Grid.
Zoom sur un projet R&D
Dans le cadre du projet européen EU-SysFlex, un démonstrateur à l'échelle industrielle, piloté par EDF en partenariat avec ENERCON (fabricant et producteur éolien allemand), a été mis en place sur le site EDF Lab les Renardières, pour développer et démontrer des solutions avancées permettant d'apporter des flexibilités au système électrique au travers du pilotage intelligent d'une centrale virtuelle dite « VPP » (Virtual Power Plant). Plusieurs départements de la R&D d'EDF contribuent activement à ce démonstrateur.
Comment nos travaux s'insèrent dans les stratégies de nos clients internes ?
Découvrez le témoignage de Marc Ringeisen, Directeur délégué du Centre Opérationnel Production Marchés (COPM), à la Direction optimisation amont aval trading (DOAAT) d'EDF
Le COPM est l'entité opérationnelle de la DOAAT qui gère l'équilibre offre-demande du périmètre EDF en France continentale. Pour assurer cet équilibre, nous travaillons sur plusieurs échelles de temps. D'abord sur un horizon de temps court : nous préparons chaque jour la journée du lendemain dans le but de satisfaire la consommation de nos clients à l'aide des centrales d'EDF et en interaction avec les marchés SPOT. Pour cela, il faut disposer de modèles de prévision de consommation, anticiper la production des énergies renouvelables, mais aussi élaborer un plan de fonctionnement optimisé des centrales nucléaires, thermiques à flamme et hydrauliques. Nous devons respecter les contraintes techniques de nos centrales tout en garantissant l'équilibre offre-demande à l'optimum économique. A plus long terme, nous modélisons les aléas qui impactent l'équilibre offre-demande comme la température, les prévisions de production éolienne ou encore photovoltaïque. Tous ces éléments vont nous permettre de construire une vision prévisionnelle qui nous aidera à prendre des décisions d'optimisation.
Quelles peuvent être ces décisions d'optimisation ?
Pour les illustrer, je vais prendre un exemple très concret. EDF exploite aujourd'hui 56 tranches nucléaires. Périodiquement, chacune d'entre elle devra être arrêtée pour recharger le combustible et réaliser de la maintenance. A quel moment faut-il stopper ces centrales pour effectuer ces opérations ? C'est l'une des questions auxquelles nous devons répondre. La réponse peut paraître évidente, on pourrait se dire qu'il suffit d'arrêter les centrales quand nous avons moins besoin d'électricité. En fait, il faut prendre en compte les multiples contraintes qui relient les décisions d'une tranche à une autre. Des contraintes de physique du cœur du réacteur, de dates limites réglementaires, mais aussi des problématiques industrielles, avec notamment des sous-traitants qui n'ont pas la capacité d'intervenir en même temps sur de nombreux sites pour certaines interventions pointues. L'optimisation du planning d'arrêts de tranche est en fait un problème extrêmement ardu qui est associé à des enjeux élevés. On parle en dizaine voire en centaines de millions d'euros d'enjeu d'optimisation.
À quelles occasions parle-t-on de flexibilité dans votre métier ?
Le système électrique a toujours eu besoin de la flexibilité de ses moyens de production, pour satisfaire aux variations de la demande. Il s'agit concrètement de pouvoir faire varier rapidement la puissance d'une centrale, l'arrêter pour quelques heures seulement, ou fonctionner durablement à une puissance faible. Ces dernières années, avec la part croissante des productions renouvelables non pilotables, nous avons des besoins croissants de recours à la flexibilité. En avril et mai, la consommation d'électricité a tendance à se réduire par rapport aux mois d'hiver. A contrario, la production des énergies renouvelables s'avère souvent importante. Cette énergie est dite fatale car elle n'est pas pilotable, elle est à prendre ou à laisser. Nous faisons ainsi face à de grands volumes de production fatale, confrontée à une demande faible, ce qui conduit à des prix de marchés très faibles voire négatifs. Cela veut dire qu'un producteur devra alors payer pour vendre son électricité sur le marché de gros. C'est là que le potentiel de la flexibilité du parc d'EDF est totalement exploité. Le premier levier consiste à faire baisser la puissance d'un grand nombre de centrales nucléaires voire d'en arrêter certaines pour une journée ou un week-end complet. Mais nous faisons aussi appel à la grande souplesse du parc hydraulique. Avec les usines STEP tout d'abord qui sont réversibles et qui peuvent consommer l'électricité pour pomper l'eau et la turbiner plus tard. Sur certains fleuves de type « fil de l'eau » comme le Rhin, nous avons même la possibilité depuis quelques mois de faire du déversement hydraulique lorsque les prix deviennent négatifs. C'est-à-dire que l'eau, au lieu d'être turbinée et de produire une énergie qui est en excédent pour le système électrique, est déversée. C'est un nouvel outil de flexibilité qui a été mis au point par EDF Hydro de concert avec la DOAAT. C'est pour nous essentiel d'entretenir des liens étroits avec l'ensemble des producteurs d'EDF : nucléaire, thermique à flamme, et hydraulique.
La DOAAT est donc une sorte de chef d'orchestre sur ces questions de flexibilité ?
Oui parce que de par sa mission, la DOAAT est la seule entité à avoir cette une vision globale sur l'équilibre offre-demande d'EDF. Nous devons orchestrer la mise en œuvre de tous les leviers de flexibilité disponibles, mais aussi travailler avec les métiers pour en créer de nouveaux et ainsi mieux nous adapter aux changements du système électrique.
Comment la R&D vous aide-t-elle ?
Elle contribue tout d'abord à nous donner une vision prévisionnelle sur cette problématique de la flexibilité. Une première étude réalisée en 2013, intitulée « Intermittence et flexibilité du nucléaire », nous a permis de bénéficier d'une vision prospective sur les années qui viennent et sur la façon dont les énergies renouvelables allaient modifier la sollicitation du parc nucléaire. Cela a eu des répercussions très concrètes puisque la Direction Parc Nucléaire Thermique a pris par la suite l'engagement d'avoir en permanence au moins deux tiers des centrales nucléaires aptes à manœuvrer à chaque instant de l'année. C'est un objectif ambitieux parce que les centrales ne sont pas tout le temps en capacité de manœuvrer, notamment quand elles sont en test ou en fin de leur cycle du combustible.
A plus court terme, la R&D travaille sur l'amélioration des cœurs de calculs de tous nos modèles d'optimisation. Ceux-ci nous permettent de réaliser quotidiennement notre programme de fonctionnement des centrales. Par exemple, nous évoquions tout à l'heure le déversement hydraulique ; sachez qu'il a fallu adapter notre modèle journalier d'optimisation à cette possibilité de déversement de certaines centrales hydrauliques.
Quelle est votre vision du travail mené par les équipes de la R&D ?
Le premier point que je soulignerais est leur expertise extrêmement pointue en optimisation et en simulation numérique, en sciences de la donnée également. Prenons l'exemple des codes d'optimisation de l'équilibre offre – demande du court terme, dont les algorithmes sont extrêmement complexes ! Un autre atout clé est leur bonne compréhension de notre métier. Même avec des connaissances académiques très pointues, la R&D ne pourrait pas apporter des réponses pertinentes si elle ne connaissait pas bien notre quotidien. Comment s'opèrent nos processus ? Quelles sont nos difficultés ? Comment utilise-t-on les outils élaborés pour nous ? Les chercheurs qui travaillent sur nos projets, passent du temps dans nos services, viennent lors des phases de spécifications ou de recette. C'est une relation qui fonctionne bien, mais qui nécessite un investissement constant pour continuer à cultiver cette proximité.