Comment la R&D d’EDF utilise-t-elle le HPC ?

L’ancienne chef de département déléguée d’OSIRIS, Aude Pelletier, et le responsable de projet au département Mécanique des Fluides, Energies et Environnement (MFEE), Nicolas Mérigoux, nous dévoilent l’intérêt des supercalculateurs pour leurs équipes respectives. Entretien croisé.

OSIRIS et MFEE, qu’est-ce que c’est ?

Aude Pelletier : OSIRIS, c'est un département qui développe des méthodes et outils informatiques permettant de gérer l'équilibre entre l'offre et la demande, notamment en matière d’électricité. La demande correspond à la consommation des clients que nous pouvons prévoir grâce aux datasciences et ce à différentes échelles de temps... Nous adaptons ainsi au très long terme - c’est-à-dire plusieurs décennies - les investissements nécessaires pour le parc de production qui demandent une planification très en amont.

Par exemple, à l’horizon annuel ou pluriannuel, nous étudions les réservoirs d’eau pour la gestion des stocks dans les barrages. Il existe alors plusieurs variables : la fonte des glaciers, les précipitations, les besoins des agriculteurs ou pour les loisirs d’eau etc. Sur le très court terme, au quotidien nous allons essayer de déterminer comment appeler nos moyens de production pour répondre à la demande de façon la plus économique.

Nicolas Mérigoux : L’une des principales missions du département MFEE consiste à développer des codes de simulations pour tout ce qui a trait à la mécanique des fluides : les écoulements de liquide et de gaz notamment. Nous travaillons dans le domaine nucléaire mais aussi dans le cadre des énergies renouvelables. Certaines équipes s’intéressent aux circuits de refroidissement des centrales, d’autres aux écoulements atmosphériques et à la dispersion de polluants autour des sites industriels, ou encore aux incendies ! C’est très varié !

Il y a également un volet expérimental au sein du département. Les données issues de ces expériences sont essentielles pour s’assurer que les résultats obtenus par nos simulations sont corrects. C’est un processus qui nous permet de valider nos codes de calculs et c’est indispensable, notamment dans le domaine de la sûreté nucléaire.

Comment utilisez-vous les supercalculateurs et pourquoi en avez-vous besoin ?

Nicolas Mérigoux : c’est une forme de cercle… plus nous essayons de résoudre des équations complexes, précises, plus nous avons besoin de ressources de calcul… Pour vous donner un exemple, sur un cluster, nous sommes vite amenés à utiliser près de mille processeurs pendant une ou deux semaines afin d’obtenir une réponse qui peut, à terme, contribuer à allonger la durée de vie du parc nucléaire... Ce type de calcul est bien sûr impossible à réaliser sur un simple ordinateur de bureau de six processeurs.

Les logiciels de simulation numérique, code_saturne et neptune_cfd, que nous développons, peuvent requérir d’importantes ressources informatiques, c’est pourquoi nous travaillons également sur leur optimisation afin de minimiser l’empreinte énergétique de nos calculs. De plus, nos codes se sont largement démocratisés ces dernières années. Il y a quinze ans, il était assez rare de les utiliser dans l’ingénierie de tous les jours. Ces méthodes ont depuis pris leur essor, ce qui génère davantage de besoins en ressources de calcul.

Aude Pelletier : la gestion de l'équilibre offre-demande repose sur des algorithmes et des outils informatiques utilisés par nos clients. Pour les mettre au point, nous avons besoin de les tester au préalable, en faisant appel aux supercalculateurs. Autrement, pour nous aussi, les durées de calcul seraient extrêmement longues : des semaines voire des mois entiers ! Nous utilisons aussi le HPC pour réaliser des études internes et pour nos clients car la rapidité pour faire tourner les modèles est sans commune mesure avec celle qu’offre un ordinateur classique.

Les outils que nous développons ont un impact financier directement quantifiable pour l'entreprise. Bien sûr, ce n’est pas directement le supercalculateur qui génère cette valeur mais il y contribue. Quand la Direction Optimisation Amont/Aval & Trading (DOAAT) qui est notre client réalise le programme d’appel quotidien des centrales de son portefeuille, grâce à APOGENE, un outil que nous avons mis au point à l’aide de nos supercalculateurs, ce sont des programmes mathématiques infiniment complexes qui font gagner des millions d’euros au groupe lorsque tout est bien implémenté. Si l’on gagne 1 % de précision en modifiant un algorithme, cela correspond à environ 40 millions d’euros. La possibilité de tester cet outil de façon exhaustive grâce au supercalculateur, dédié à la R&D, génère beaucoup de valeur.

La puissance HPC au service des métiers d’EDF

Si la R&D possède une grande partie des supercalculateurs, d’autres entités du groupe EDF s’en servent régulièrement. Charles Bodel, chef du service Structure au CIH, fait partie de ces utilisateurs.

Un mot sur vous, Charles Bodel ?

Je travaille à la direction technique du centre d'ingénierie hydraulique (CIH) d'EDF Hydro, la division d'EDF qui s'occupe de l'exploitation hydraulique.
Je suis chef d'un service qui s'appelle « Structure » qui est lié au métier du génie civil. Nous y réalisons donc du calcul des structures sur nos ouvrages (barrages et usines de production). .

Qu'est-ce que le CIH ?

 


C'est ce qu'on appelle l'ingénierie intégrée : l'entité qui réalise les études et la mise en œuvre des opérations sur le parc hydraulique existant ainsi que sur les nouvelles installations. Chaque site du CIH est lié à une unité de production d'EDF Hydro. Je travaille pour ma part à la Motte-Servolex (à proximité de Chambéry), à la direction technique du CIH. On y réalise de manière prépondérante les études amont, la conception et le calcul des ouvrages hydrauliques. C'est à la DT qu'on élabore le référentiel technique pour le CIH et nos collègues exploitants. C'est aussi ici que vous trouverez les services qui s'occupent du développement à l'externe et à l'international.

Quelle est votre utilisation des supercalculateurs ?

Il y a une tendance générale à la virtualisation et l'utilisation du calcul que l'on observe un peu partout dans le monde de l'entreprise. Au CIH, que ce soit pour concevoir les nouveaux projets ou réaliser des expertises sur des ouvrages existants, nous avons de plus en plus recours au calcul. Cela concerne tous les services, mais nous faisons partie des utilisateurs les plus intensifs de Cronos et des supercalculateurs de la R&D.

À quelles fins vous en servez-vous ?

Nous les utilisons énormément pour démontrer la conformité des ouvrages à la réglementation. Il existe un exemple très simple, loin d'être exhaustif : tous les dix ans, tous les grands barrages doivent faire l'objet d'une étude de danger au cours de laquelle nous évaluons le risque qu'il existe des problèmes liés à l'existence même de ces ouvrages…

Nous évaluons donc leur comportement, la manière dont ils se déplacent, les défauts qu'on peut observer, ce qui marche bien, ce qui marche moins bien… Pour une grande partie des ouvrages étudiés, la création d'un modèle numérique et l'utilisation des supercalculateurs est nécessaire. Avec l'augmentation de la puissance de calcul, nos modèles deviennent de plus en plus fin (la taille des mailles élémentaires est plus petite), et la quantité de phénomènes pris en compte augmente, pour un réalisme amélioré, et, dans un certain nombre de cas, des marges augmentées par rapport aux critères de dimensionnement déterminés par la profession.

Le barrage est équipé de pendules, de piézomètres, de cibles topométriques… de multiples systèmes d'instrumentations gérés par la division technique générale (DTG) qui nous transmet des données d'auscultation qu'elle est capable d'interpréter. Ces données sont utilisées pour caler notre modèle numérique qui, in fine, nous permet de comprendre comment l'ouvrage se comporte, y compris aux endroits où nous ne disposons pas d'auscultation. Par exemple, cela va nous donner accès au champ de déplacement sur l'intégralité du barrage (la manière dont il se déplace en fonction du niveau d'eau dans la retenue, de la température extérieure et de différents événements ayant impacté le barrage sur sa durée de vie), et le niveau de contrainte interne.

Le vieillissement du béton peut être pris en compte, et de multiples phénomènes peuvent l'affecter. Nous sommes capables de les intégrer dans notre modèle numérique pour déterminer l'état interne du barrage, et son évolution à 10 ans, exigé par nos autorités de sûreté dans le cadre de nos études réglementaires.

Quelle est votre relation avec la R&D d'EDF ?

La R&D d'EDF est un partenaire incontournable pour la mise au point de nos modèles et la réalisation des calculs sur nos clusters. La relation forte entre les spécialistes du génie-civil qu'on trouve au département ERMES, les spécialistes du calcul scientifique (PERICLES) et les administrateurs des clusters de calcul nous permet d'avoir accès à des solutions de calcul totalement adaptées à nos besoins. C'est un levier majeur de notre performance, ici, au CIH, et nous permet d'intégrer très rapidement des évolutions dans nos manières de travailler.