Elles sont censées favoriser la planification des investissements publics, servir l’innovation numérique, renforcer l’attractivité des territoires ou encore stimuler la démocratie locale. Les données portent-elles vraiment le potentiel de transformation qu’on leur prête ? Comment les collectivités pionnières les utilisent-elles ? Et pourquoi les autres tardent-elles à franchir le pas ? Gros plan sur un pilier (en devenir) des politiques publiques.

Dans le cadre de leurs missions de service public, les collectivités créent, collectent et exploitent des données. En France, jusqu’à une époque récente, seules les administrations territoriales y avaient accès. Sous l’influence des pays anglo-saxons et de quelques villes pionnières, une logique d’ouverture (open data) et de diffusion s’est progressivement imposée. La loi pour une République numérique lui a donné un coup d’accélérateur en obligeant les collectivités de plus de 3 500 habitants ou employant au moins 50 collaborateurs, à publier leurs données brutes dans un standard ouvert, libre et gratuit, réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.

De la production d’énergie locale à la gestion des risques naturels, du fonctionnement des transports à l’information sur les équipements sportifs… toutes les activités présentant un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental sont concernées par cette obligation.

L’open data ne serait-il alors, pour les territoires, qu’une contrainte générée par le cadre légal ? Bien au contraire ! Favoriser le partage des données, c’est injecter de la transparence dans la vie démocratique, c’est inciter les citoyens à participer à l’intérêt général, mais c’est aussi stimuler la créativité des entreprises, développeurs et scientifiques qui inventeront les services de la ville connectée et durable de demain.

« Un des principaux enjeux est de diffuser, parmi les acteurs publics et privés, institutionnels et associatifs, la culture de la data comme socle de la connaissance territoriale, explique Lilla Merabet, vice-présidente de la Région Grand-Est, déléguée à la thématique compétitivité, innovation et numérique. Suivant cette logique, notre collectivité a notamment pour projet d’agréger l’ensemble des données publiques produites sur son périmètre en vue de construire un jumeau numérique du territoire. Une fois déployé, il servira d’appui pour éclairer la décision publique. »

Un moyen d'identifier les leviers bas carbone

La transition énergétique est l’un des principaux thèmes investis par les acteurs en pointe sur la data. Dans le cadre du projet La Rochelle Territoire Zéro Carbone, le consortium rassemblant notamment la communauté d’agglomération et la ville a identifié le partage et la mise en circulation des données comme un des cinq principaux leviers à actionner.

« Entre autres réalisations, nous avons intégré un outil de gestion du parc immobilier public et privé, confie David Berthiaud, directeur de la transformation numérique ville et agglomération de La Rochelle. Cette solution fonctionne sur la base des données patrimoniales, qui concernent les ouvrages constituant les réseaux d’électricité et de gaz, et des éléments relatifs à la consommation d’énergie. Grâce à elle, nous pouvons notamment comptabiliser les fluides et les énergies et ainsi évaluer l’efficacité des travaux d’optimisation énergétique. » À terme, l’objectif est d’étendre le dispositif à l’habitat privé et de consolider les données à grande échelle de manière à faire ressortir l’empreinte de consommation du territoire et, ainsi, mieux qualifier les gisements de progrès.

Précieuses pour piloter la rénovation et la construction des bâtiments, les données le sont aussi pour faire progresser l’offre de mobilité propre. Dans ce dernier domaine, le Mobility as a Service (MaaS) aimante toutes les attentes. Derrière l’acronyme se cache une promesse : celle de fournir aux usagers un dispositif global leur donnant accès, en un clic, à l’ensemble des services liés aux différents modes de transport disponibles. À travers son projet de système d’information multimodale, la Région Grand-Est a fait sien cet engagement. Il repose sur l’élaboration d’un référentiel de données sur une zone dépassant de 100 km les frontières du Grand-Est – ce qui suppose, en particulier, d’incorporer par exemple les données du Luxembourg et d’Île-de-France Mobilités. « En plus d’améliorer l’accès des personnes à l’information sur les modes de déplacement, l’outil servira à homogénéiser les services délivrés par les opérateurs de transport », relève Lilla Merabet.

Dans leurs démarches, les collectivités peuvent avoir besoin de s’appuyer sur une expertise externe. À l’image du bilan énergétique en ligne proposé par EDF, qui contribue à mettre en évidence les leviers bas carbone existant sur un territoire : potentiel de développement des énergies renouvelables locales, comparaison avec des collectivités similaires, informations sur la précarité énergétique… Autant de sujets sur lesquels l’outil donne la possibilité de dégager une vision claire. De cette façon, le Groupe a pu formuler des propositions concrètes répondant aux besoins de la Communauté Urbaine d’Arras, contribuant ainsi à la concrétisation des priorités de son contrat de transition écologique.

« Partout sur le territoire, nous proposons à nos clients des solutions opérationnelles basées notamment sur la mise en corrélation d’une grande diversité de données », souligne Mathias Povse, délégué régional Hauts-de-France EDF et directeur Commerce de la Région Nord-Ouest. Les champs d’application sont multiples. Il peut s’agir de qualifier une approche innovante de la rénovation énergétique aux côtés d’un bailleur social, de réfléchir à l’intégration du véhicule électrique en milieu urbain dense ou encore d’imaginer un système d’échange de chaleur entre les industriels du port de Dunkerque. « Nos outils de type tableau de bord ou cartographie interviennent au stade de la définition des politiques publiques mais ils sont utiles, également, pour mesurer leurs effets », conclut Mathias Povse.

De multiples bénéfices et des freins à lever

À l’accélération de la transition énergétique, le partage des données ajoute d’autres bienfaits. Il nourrit, en particulier, l’attractivité des territoires. Un exemple : l’information sur l’offre de services de proximité dans un quartier donné, sur l’état et la dynamique du marché immobilier ou encore sur les dispositifs d’aide à l’accession à la propriété constitue un élément essentiel pour attirer résidents et entreprises.

L’activité économique, également, a tout à gagner au mouvement qui est en cours dans les territoires. À titre d’illustration, les commerces de centre-ville – à la recherche d’une nouvelle dynamique dans le contexte de la crise sanitaire – ont la possibilité d’adapter leurs horaires d’ouverture en tenant compte de la fréquentation de certaines rues, elle-même calculée à partir des flux piétonniers par tranche horaire. Un service que Proxity, entreprise du groupe EDF, fournit aujourd’hui sur le périmètre de plusieurs territoires.

Malgré ces riches perspectives, l’exploitation généralisée des données publiques se heurte encore à certains freins. En théorie, la loi exige une publication dans des standards ouverts, c’est-à-dire aisément utilisables par un système de traitement automatisé. En pratique, faire le meilleur usage de données brutes dépourvues d’éléments de contextualisation n’est pas toujours simple… « Nous sommes conscients que notre rôle ne se limite pas à proposer des fichiers au téléchargement, indique David Berthiaud. D’ici fin 2020, nous donnerons accès à des outils facilitant la visualisation et la manipulation des données. Ce projet complétera le travail de médiation autour des données que nous menons en permanence. »

Un autre défi d’intérêt général consiste à accompagner les petites et moyennes communes dans leur démarche d’ouverture. Depuis 2017, la Charente-Maritime – avec le syndicat mixte Soluris ainsi que la Ville et l’Agglomération de La Rochelle – fait partie des neuf territoires pilotes désignés dans le cadre de l’expérimentation open data locale. « L’ambition poursuivie est de stimuler et d’organiser le soutien financier et humain des grandes collectivités au bénéfice des plus petites, précise David Berthiaud. En élargissant la gouvernance des données au-delà des porteurs de projet initiaux, nous faisons en sorte que les différents acteurs puissent identifier et exprimer leurs besoins. C’est une condition impérieuse pour mettre l’open data au cœur de la transformation des territoires ! »