Plus de trois ans après la publication de la loi pour une République numérique, dite loi Lemaire, où en sont les collectivités dans leur maniement du big data ? Quelle est l’application du cadre réglementaire ? Comment les collectivités s’impliquent-elles dans l’open-data ? Décryptage.
Ce que dit la loi numérique
La loi pour une République numérique, en date du 7 octobre 2016, prévoit notamment l’ouverture de l’accès aux données publiques. Qui est concerné ? L'Etat, les collectivités territoriales et les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une mission de service public, soit au total 4510 « Administrations ». Ne sont pas concernées les collectivités territoriales de moins de 3 500 habitants ainsi que les administrations employant moins de 50 agents ou salariés (exprimé en équivalents temps plein).
Obligations des collectivités
Quelles sont leurs obligations ? Les administrations citées ci-dessus sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent, notamment aux autres administrations qui en font la demande pour l'accomplissement de leurs missions de service public. De plus, certaines administrations doivent publier en ligne un certain nombre de documents1, lorsqu’ils sont disponibles sous forme électronique, par exemple des données dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental. Bien sûr, de nombreux documents ne sont pas communicables, tels ceux dont la consultation porterait atteinte au secret de la défense nationale ou à la sûreté publique. Et ne sont communicables qu’à l’intéressé, les documents administratifs dont la diffusion porterait atteinte par exemple à la protection de la vie privée.
D’où proviennent les données publiques
Les données publiques proviennent de sources multiples. En octobre 2019, 3 ans après la promulgation de la loi Lemaire, 460 collectivités territoriales ont déjà ouvert au moins un jeu de données publiques. Elles représentent 10,2% des collectivités concernées par la mise en application du principe d’open data par défaut. La totalité des conseils régionaux en métropole, la moitié des conseils départementaux, presque toutes les métropoles, les communes et autres EPCI de taille importante participent aujourd’hui à l’ouverture des données publiques, selon l’Observatoire Open data des territoires. Ces chiffres devraient progresser avec le déploiement de moyens techniques et financiers et les retours d’expériences des collectivités.
Big data populaires
Parmi les jeux de données les plus populaires sur les plateformes territoriales, on trouve la base SIRENE (Système national d’identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements) ou encore les Archives de la planète du musée départemental Albert-Kahn.
Parmi les big data les plus téléchargés, figurent la liste des prénoms par année ou la disponibilité en temps réel du Vélib’, réseau de vélo-partage de la Métropole de Paris. Les données publiques bénéficient ainsi à tous les citoyens.
Données publiques et énergie
Un certain nombre d’acteurs de l’énergie, publics et privés, ont entrepris eux aussi d’ouvrir une partie de leurs données, sans pour autant toucher aux données à caractère personnel. En mars 2017, la direction des Systèmes Energétiques Insulaires d'EDF, a mis en ligne 7 portails permettant d’accéder à plus de 60 jeux de données propres aux infrastructures, à la production et la consommation d’électricité en Corse et dans les départements et régions d'Outre-mer (actions d’efficacité énergétique par exemple). Enedis le gestionnaire de réseau de distribution, met en ligne de manière fine, les quantités d’électricité consommées et produites partout en France. GRTgaz et Teréga notamment ont créé en 2017, la plateforme Open Data Réseaux Énergies (ODRÉ). Ils ont depuis été rejoints par l’AFGNV, Weathernews France, Elengy, Storengy et Dunkerque LNG. ODRÉ met à disposition du public, 91 jeux de données autour des thématiques de production et consommation multi-énergies (dont les énergies renouvelables), de stockage, d’infrastructures (lignes et postes électriques par exemple) et de territoires.
De nombreuses associations participent également à dessiner le paysage énergétique français à l’aide de l’open data. Les Observatoires régionaux Energie Climat présentent par exemple des indicateurs extraits de la Stratégie Nationale Bas Carbone et de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie. Bien exploitées, certaines de ces données pourraient aider à construire les prochaines smart cities au service des économies d’énergie.
Bilan énergétique en ligne
Les collectivités ont aussi la possibilité de réaliser un bilan énergétique de leur territoire et d’identifier les leviers bas carbone à prioriser pour accélérer leur transition énergétique. Grâce à une interface intuitive et visuelle conçue par EDF, elles ont accès à plusieurs indicateurs-clés en ligne : émissions de CO2 de plusieurs secteurs (tertiaire, industrie, mobilité des habitants, habitat), consommations d’énergie, production et potentiel d’énergies renouvelables, émission de CO2 des logements et leur répartition par énergie de chauffage, nombre de points de charge publics pour voitures électriques, etc. Sourcées grâce à l’opendata, modélisées par EDF et maintenant disponibles sous forme dataviz, ces données permettent aux collectivités de se comparer à la moyenne nationale ou à des collectivités similaires.
Big data et visualisation
Pourtant, utiliser les big data n’est pas toujours simple, surtout lorsqu’il s’agit de données brutes sans aucune contextualisation. D’où l’importance de développer des outils intuitifs et visuels, comme le montre l’exemple d’une base de données qui a généré plus d’un million de visites en moins de deux semaines : les ventes de biens immobiliers et de biens fonciers non bâtis réalisées au cours des cinq dernières années, mis en ligne par la direction générale des finances publiques. Ces données peuvent être visualisées sur une carte sans qu’il soit nécessaire de les télécharger ou de les manipuler.
Rien ne vaut des données publiques bien présentées !
RGPD et protection de la vie privée
Enfin, open data et big data soulèvent des enjeux relatifs au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Adopté par le Parlement européen le 14 avril 2016, le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) renforce la data protection concernant des individus au sein de l’Union européenne. Il est applicable dans l’ensemble des 28 États membres de l’UE depuis le 25 mai 2018. Il implique que les data à caractère personnel ne peuvent devenir des données publiques et doivent être sécurisées. Pour cela, les administrations doivent faire en sorte que les fichiers qu’elles mettent en ligne ne permettent pas d’identifier les personnes concernées. En France, la CNIL (commission nationale de l’informatique et des libertés) a compétence pour prononcer diverses sanctions à l’égard des responsables de traitement qui ne respecteraient pas la loi. La majeure partie des big data traitée par les collectivités ne contient pas d’éléments personnels (horaires des transports en commun, production énergétique…). Pour celles qui seraient de la donnée personnelles, les collectivités se chargent de les anonymiser ou de les occulter.
1 Conformément à l’article L312-1-1 du Code des Relations entre le Public et l’Administration