Rebecca Toth est CEO d’Yxir, la filiale du groupe EDF spécialisée dans l’intelligence artificielle au service de la performance des industriels. A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, elle revient sur son parcours de femme ingénieure, entrepreneure, et dirigeante.

Rebecca Toth, CEO Yxir

Rebecca, pouvez-vous revenir rapidement sur votre parcours ? 

Rebecca Toth : Après avoir étudié au sein de Polytechnique puis à l’école des Mines de Paris, j’ai intégré la Direction Industrielle de l’Ingénierie Nucléaire du groupe EDF sur un poste d’ingénieure. Je m’y suis fait une expertise technique liée au terrain qui m’a permis de monter rapidement en compétences et de gagner en légitimité. Après dix années à évoluer au sein de cette direction, j’ai pris la fonction de Chief Data Officer de l’ingénierie nucléaire, un tout nouveau poste créé au sein du Groupe afin de participer au programme de transformation digitale. C’est à ce moment-là que je me suis plongée dans tous les sujets de data et d’intelligence artificielle. Notre ambition était de sortir du cadre pour tester de nouvelles choses, réfléchir à de nouvelles méthodes pour gagner en performance. Tous les grands groupes ont créé des postes similaires à cette même époque, et nous avons rapidement échangé entre pairs afin d’avancer plus vite et de se challenger. Je me suis alors rendue compte que chez EDF, nous avions trouvé des solutions à des problématiques partagées par beaucoup d’industriels, et qu’il y avait peut-être de quoi créer un nouveau business pour le Groupe. J’ai alors rencontré le Directeur du programme entrepreneurial EDF Pulse Incubation et échangé avec un ancien incubé, aujourd’hui CEO de Metroscope, et je me suis lancée à mon tour ! 18 mois plus tard, Yxir sortait d’incubation et devenait la filiale du groupe EDF spécialisée dans la qualité industrielle grâce à l’intelligence artificielle.

Vous avez vécu une aventure entrepreneuriale au sein d’EDF et aujourd’hui vous êtes CEO d’une filiale du Groupe : quels grands enseignements en retirez-vous ? 

RT : C’est assez difficile de regarder en arrière, tant le parcours effectué est vertigineux. Mais ce qui est certain, c’est que je ne suis plus la même qu’il y a 3 ans, quand j’ai commencé l’aventure EDF Pulse Incubation. A l’époque, j’étais l’archétype de l’ingénieure, cartésienne, logique, qui campe sur ses positions, et qui peut parfois être un peu obtus. Je détestais même décrocher mon téléphone ! L’aventure entrepreneuriale m’a aidée à sortir de ma zone de confort, à développer des compétences plus commerciales, relationnelles, d’influence parce qu’on comprend vite que la logique ne suffit pas pour vendre un produit, surtout au contact de 30 prospects chaque semaine ! L’incubateur m’a également préparé tout du long à devenir dirigeante, si bien que j’ai ressenti une véritable continuité entre mon incubation et ma prise de poste en tant que CEO d’Yxir. 

Au-delà des « hard skills » et des « soft skills » que j’ai pu acquérir avec ces expériences, j’en ai aussi retiré des leçons de vie. EDF Pulse Incubation est avant tout une aventure humaine : on apprend énormément de choses en quelques mois et c’est vraiment super, mais c’est aussi très fatigant. C’est important d’être bien entourée et de s’écouter, afin de garder autant que possible un équilibre vie privée/vie professionnelle.

Être une femme a-t-il été source de difficultés ou d’avantages dans votre parcours ?

RT : Je n’ai jamais considéré le fait d’être une femme comme quelque chose qui pouvait me freiner, ou un désavantage. Comme beaucoup de femmes, j’ai déjà fait face à des collègues sexistes ou misogynes mais cela ne m’a jamais arrêtée, et je me suis rapidement écartée de ces personnes. En réalité, je pense que le principal inconvénient des femmes en entreprise, c’est que nous avons souvent le syndrome de l’imposteur. Cela nous pousse à prendre moins de risques, à moins nous mettre en avant et à nous positionner uniquement sur des postes sur lesquels nous sommes sûres à 100% d’avoir les capacités requises. Au final, on se met souvent nous-mêmes des barrières, parce que nous avons un niveau d’exigence très élevé envers nous-même. 

Être une femme, au contraire, peut se révéler un véritable avantage. Personnellement, j’adore être une femme dans un environnement masculin, parce qu’on peut les surprendre facilement, ce qui est très drôle. Ils s’attendent à ce qu’on soit timide, frêle, alors que nous ne le sommes pas et cette capacité à surprendre là où on ne nous attend pas est une vraie force. Je suis également convaincue qu’on a une sensibilité, de l’empathie, une capacité à se projeter qui facilite la communication – même si les hommes la développent de plus en plus aussi et c’est tant mieux ! En tant que manager, cette sensibilité me permet de désamorcer plus facilement des situations difficiles. 

Bien sûr, certains seront toujours gênés d’être managés par une femme, mais c’est leur problème pas le mien. D’ailleurs, j’ai remarqué qu’en général, et surtout dans les métiers techniques, l’expertise prime sur tout le reste, y compris le genre. Et les femmes sont tout aussi compétentes que les hommes…

Les femmes représentent moins de 30% dans les métiers de l’industrie et dans les métiers liés à l’IA. Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux filles qui hésitent à se lancer dans ces métiers ? 

RT : Pour moi, il est important de se positionner sur des métiers de présent et surtout d’avenir. L’intelligence artificielle fait partie de ces sujets qui seront prépondérants dans le monde de demain. Il faut donc absolument qu’il y ait des femmes dans ce domaine ! On ne va tout de même pas risquer de perdre les droits que tant de femmes se sont battues à obtenir pour nous… 

Et bien sûr, le domaine de l’industrie a également besoin de femmes. Face aux défis du réchauffement climatique, ce secteur doit plus que jamais se transformer et pour cela, il a besoin d’un nouveau regard. Les hommes et les femmes sont différents et complémentaires : ce n’est qu’avec la mixité, la diversité et la confrontation de points de vue que nous pourrons transformer l’industrie et la rendre plus performante.

Les femmes représentent moins de 28 % des dirigeants d'entreprise en France. Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

RT : C’est triste ! Je pense typiquement que les femmes s’auto-censurent. Elles n’ont pas moins de compétences, il faut simplement qu’elles dépassent leurs peurs, qu’elles osent sortir du cadre. Et je sais de quoi je parle… Je sais très bien que sans EDF Pulse Incubation, jamais je ne me serais lancée dans une aventure entrepreneuriale. Mais pendant toute mon incubation, j’ai été amenée à lutter contre mes freins naturels et à prendre des risques. C’est une vraie chance de pouvoir bénéficier d’un tel programme au sein d’EDF ! Et je trouve même beau qu’un Groupe comme EDF, qui adore les process, ait créé un cadre justement pour sortir du cadre. 

Je pense aussi que ce résultat est lié au fait que souvent, quand on est dans un TOP management, on a tendance à s’entourer de gens qui nous ressemblent et fonctionnent de la même façon pour avancer dans une même direction. Je pense qu’au contraire, ils devraient s’entourer de personnes très différentes pour être bousculés et se transformer, et ça passe aussi par plus de mixité. Je sais que ce n’est pas simple, puisqu’il faut à la fois faire preuve d’assurance et d’écoute. Mais c’est pour moi le signe d’un bon dirigeant, capable d’emmener au bon endroit l’entreprise et ses salariés.

Un dernier mot ? 

RT : Je sais que si j’en suis là aujourd’hui, c’est aussi parce que j’ai eu beaucoup de chance, et que j’ai fait de belles rencontres. Et sur ce dernier point, j’aimerais rendre hommage à tous les réseaux de femmes au sein d’EDF. Ils ouvrent beaucoup de portes et ont contribué à me faire arriver là où je suis aujourd’hui.