Comme pour la plupart des cours d’eau au débit irrégulier, le Rhin a d’abord été un fleuve divaguant, aux bras multiples et variant selon les époques.

Les crues pouvaient certes détruire des installations sur les rives mais la vallée du Rhin était surtout marquée par la présence de marais et de l’insalubrité chronique (paludisme) qui l’accompagnait.
Aménager le Rhin fut, dès le milieu du XVIIIe siècle, une entreprise multiple puisqu’il s’agissait à la fois d’assainir la région, de réguler le débit du fleuve et de favoriser la navigation entre la Suisse et la mer du Nord.
Les études et projets apparurent à la fin de la monarchie, dans une période où la capacité à stabiliser les éléments naturels apparaissait comme un prolongement du pouvoir politique. Rappelons que le sud de l’Alsace était rattaché à la France depuis le traité de Westphalie (1648) à l’exception de la commune de Mulhouse qui ne devint française qu’en 1798.

Avec la Révolution puis l’Empire, les initiatives réapparurent. Celle de Johann Gottfried von Tulla (colonel badois, 1770- 1828), formulée en 1804, reprenait partiellement le projet du général d’Arçon de 1787, consistant à créer un lit unique de 200 à 250 m de largeur pour le fleuve, si possible en ligne droite pour faciliter la navigation. L’idée générale était que les eaux vives permettaient d’éviter les méfaits des eaux stagnantes.
Jusqu’à son décès, Tulla multiplia les études, créant même une école d’ingénieurs à Karlsruhe en 1807. Les travaux débutèrent en 1817, signe que le changement politique (fin de l’Empire) n’empêcha pas la continuité du projet.
Toutefois, en accélérant le cours de l’eau, le creusement du lit du fleuve fit apparaître des récifs comme la barre rocheuse d’Istein à proximité de Kembs. Si les objectifs d’un meilleur écoulement et d’un raccourcissement de 14 % des distances furent bien atteints, la navigabilité du fleuve restait complexe voire impossible du fait de ces rochers.

Des travaux menés entre 1900 et 1908 permirent de restaurer partiellement la navigation au niveau de Kembs. Sur le plan de la santé également, l’opération fut également concluante puisque les fièvres qui étaient encore massives dans les années 1820 disparurent progressivement. Les derniers cas de paludisme dans le Haut-Rhin furent répertoriés en 1883. On mentionne de nouveau des cas en 1915 dans le contexte de la Première Guerre mondiale et de soldats revenant des Balkans.

Le projet de Tulla fut rendu possible car le Rhin avait changé de statut au cours des années 1803-1804. Sous l’impulsion de Napoléon Ier, la gestion de la circulation sur le Rhin fut confiée à une administration internationale installée à Mayence en 1804. Ceci permettait de définir des règles de fonctionnement mais également de réorganiser la fiscalité liée au transport des marchandises. Le principe était de favoriser le commerce et de faire du Rhin un axe commercial international. Le Congrès de Vienne (1815) et les conventions qui suivirent (dont celle de Mayence en 1831) confirmèrent cette voie et l’on peut ainsi considérer que la Commission centrale pour la navigation du Rhin, officiellement créée en 1815, est la plus ancienne organisation internationale. Initialement, elle regroupait les Etats riverains du Rhin3. Après la Première Guerre mondiale, elle accueillit également les pays concernés par le commerce sur le fleuve. 

Source : Kembs, un lieu de mémoire et d'histoire /  texte d'Yves Bouvier Historien


Vous avez dit la barre d’Istein ?

Avant, bien avant la construction du Grand Canal d’Alsace, il fut question de corriger le cours du Rhin naturel, réputé indomptable par son caractère sauvage. Et le nombre de tentatives avortées pour l’endiguer n’eut d’égal que le nombre de crues subies pendant des siècles par les villageois des deux rives…
Le Rhin sauvage ou le Vieux-Rhin, tel qu’on l’appelle encore aujourd’hui, a toujours été un fleuve au fort caractère. Dans l’histoire, ce fleuve a été difficile à apprivoiser et depuis des temps très anciens, les tentatives ont été multiples et rarement couronnées de succès.
L’ultime tentative de correction fut celle imaginée avant sa mort en 1828 par Johann Gottfried Tulla, Colonel des Ponts-et-Chaussées du Grand-Duché de Bade.
Les travaux furent entrepris de 1842 à 1876, suite à la signature d’une convention entre le Roi de France Louis Philippe et le Grand-Duc de Bade Léopold 1er, le 5 avril 1840.
La correction fut brutale : finis les méandres, les bras innombrables, et les inondations à répétition, souvent catastrophiques ! Les riverains y trouvèrent leur compte, par l’extension de leurs terres agricoles. Mais, avec la suppression des méandres, le Rhin fut raccourci de 32 kilomètres, entre Strasbourg et Bâle, avec une vitesse de l’eau considérablement augmentée. L’érosion fit son œuvre, la nappe phréatique s’enfonça en proportion, les cultures et forêts souffrirent de la sécheresse.
L’accélération du courant sera telle qu’elle creusera profondément le chenal d’une rectitude devenue trop disciplinée, ce qui finira par interdire la navigation. Le fleuve s’encaissera de plusieurs mètres en un siècle. Et c’est ainsi que la fameuse barre d’Istein fera progressivement son apparition !
Des projets concluants furent ensuite mis en œuvre par les allemands pour « corriger » l’impact de la correction de Tulla, surtout à l’aval du fleuve, où ils rendirent Strasbourg à la navigation. Afin qu’il en soit de même pour Bâle et la Suisse, il faudra attendre l’arrivée de René Kœchlin !
Ce dernier délaissera la régularisation au profit d’une canalisation de grande ampleur. Visionnaire, Kœchlin présentera son projet de canal à la Société Industrielle de Mulhouse en 1902. Misant sur la navigation à grande échelle et sur la production hydroélectrique avec construction de barrages et d’usines électriques, son canal allait apporter à la France un véritable essor économique pour les décennies qui allaient suivre le début de sa construction en 1928.
Aujourd’hui, cette barre d’Istein, qui incarne pour certains l’échec de l’homme sur la nature, est un spot apprécié des allemands qui viennent s’y rafraichir en période estivale. Mais la prudence reste de mise car à l’amont, le barrage de Kembs peut décharger des débits à tout instant. Le caractère impétueux du Rhin demeure et de nombreux panneaux de prévention sont là pour le rappeler à la mémoire de tous !
Vous pouvez encore observer cette barre d’Istein aujourd’hui, en vous promenant sur les rives du Rhin, à la hauteur des écluses EDF de Kembs.