Anthony, peux-tu nous parler de ton parcours ?
Je suis ingénieur agronome de formation, diplômé d’AgroParisTech, et j’ai rapidement saisi que les enseignements autour de l’écologie et des biostatistiques allaient être essentiels pour moi. J’ai réalisé un doctorat à l’Université de Toulouse sur l’écologie des communautés de poissons des rivières en France et leur conservation. J’ai ensuite effectué un contrat post-doctoral au centre INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) d’Aix-en-Provence sur la biodiversité des poissons dans les lacs en Europe. Je suis arrivé à la R&D d’EDF en 2015.
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Quel est ton domaine d’expertise ? Mon domaine d'expertise est l'hydroécologie, la science qui étudie les relations entre les organismes aquatiques et leur environnement. Le poste que j’occupe actuellement consiste à piloter et mener des études sur l’impact environnemental des ouvrages de production d’EDF. La thématique de recherche sur laquelle je travaille principalement s’appelle la Thermie-Hydrobiologie. Elle correspond au champ d’études sur l’incidence écologique de l’augmentation de la température de l’eau sur les écosystèmes aquatiques (fleuves, estuaires, milieux côtiers), en lien avec le changement climatique et dans un contexte d’échauffement additionnel par les rejets thermiques des centrales nucléaires. |
Ce sont des sujets historiques (des études sur cette thématique sont menées à EDF depuis les années 1970) mais qui prennent de plus en plus d’importance pour EDF et dans la place publique depuis deux décennies. A la R&D d’EDF nous avons mené deux programmes successifs sur la Thermie-Hydrobiologie depuis 2008, et en ce moment, je suis en train de monter et lancer le troisième Programme Thermie-Hydrobiologie 2023-2027.
Celui-ci marquera l’ouverture de la thématique aux milieux marins et estuariens. Il visera également à investiguer des solutions fondées sur la nature pour atténuer les effets du dérèglement climatique sur les rivières et leur biodiversité.
Une des particularités de ces études traitant de l’incidence environnementale de nos moyens de production, est qu’elles sont généralement réalisées en partenariat avec le monde académique et les acteurs publics de la gestion des milieux aquatiques et terrestres, comme l’INRAE, l’OFB (Office Français de la Biodiversité), le CNRS (Centre National de Recherche Scientifique), Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer),…
Ces partenariats scientifiques permettent d’apporter des compétences extérieures à EDF tout en renforçant le caractère scientifique et objectif des échanges que nous pouvons avoir avec les autorités, telles que l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) ou le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
Qu’est-ce qui a motivé ton orientation dans la recherche et dans ce domaine ?
Dès tout petit, je savais que je voulais travailler en lien avec le vivant, ça a rapidement passionné l’enfant que j’étais, et j’ai passé beaucoup de temps en nature avec mes parents. En grandissant au côté d’un père chercheur, j’ai vite compris que si on voulait comprendre la nature, il fallait passer du temps à récolter des données, les traiter, les analyser, etc.
J’ai développé un certain nombre de connaissances naturalistes, comme l’identification de certaines espèces animales et végétales, c’est quelque chose qui m’a toujours plu. Et en ce qui concerne la recherche, j’ai assez vite eu de l’intérêt pour faire progresser la science. La recherche en écologie s’est alors présentée naturellement, et la rencontre avec un chercheur de l’INRAE (anciennement Cemagref) et deux stages de recherche en France et en Ecosse sur ces sujets ont permis de confirmer que c’était ce que j’avais envie de faire.
Enfin, le lien avec les enjeux actuels de produire l’électricité de manière durable et respectueuse de l’environnement s’est imposé de lui-même et m’a amené à postuler à la R&D d’EDF.
Peux-tu nous parler de ta participation à la publication dans la revue Nature ?
Depuis la construction des centrales nucléaires dans les années 80-90, chaque année, des relevés environnementaux et hydrobiologiques sont réalisés en amont et en aval des centrales. Les données ainsi récoltées sont ensuite analysées dans le but de surveiller l’incidence des activités de chaque centrale sur les milieux aquatiques avoisinants, et des rapports annuels sont produits et rendus publics.
En 2020, une équipe de recherche allemande a diffusé un appel pour mettre en commun des données et réaliser une étude d’ampleur à l’échelle européenne sur l’évolution de l’état écologique des rivières européennes et de leur biodiversité sur les 50 dernières années, en se focalisant sur l’évolution des communautés d’insectes aquatiques tels que les odonates (dont les larves de libellules font partie). EDF a saisi cette opportunité et a mis à disposition les données temporelles récoltées depuis plusieurs décennies à proximité des quatre centrales nucléaires du Rhône, qui représentent un ensemble de données rares et précieux, notamment du fait de la durée et de la régularité des suivis. Près de 100 organismes et instituts de recherche ont contribué à cette étude et des données provenant de plus de 1800 localisations réparties sur 22 pays européens ont été analysées sur la période 1960-2020. Après une importante phase de co-rédaction et de relecture par les pairs, les résultats de l’étude ont été publiés dans la revue Nature en août 2023.
Les résultats : le constat est fait d’une amélioration depuis les années 1960 de la plupart des indicateurs de biodiversité considérés. Cette amélioration est expliquée par l’amélioration de la gestion de ces milieux et la mise en place de la directive-cadre européenne sur l’eau, malgré le dérèglement climatique et une stagnation observée sur les quinze dernières années en Europe.
Qu’est-ce que représente une publication dans la revue Nature ?
C’est un peu le Graal pour un chercheur d’avoir la chance de publier dans Nature
C’est la revue scientifique généraliste de référence en termes de prestige scientifique. Les écrits publiés peuvent rapidement devenir des références dans les disciplines scientifiques concernées et donnent une crédibilité accrue aux auteurs et aux sujets de ces publications. Cette opportunité saisie permet également d’accroître la crédibilité de la R&D en termes de recherche sur la biodiversité auprès de nos partenaires et des autorités.
Peux-tu nous raconter un de tes meilleurs souvenirs à la R&D d'EDF ?
La restitution publique du Programme Thermie-Hydrobiologie et de la dizaine d’études menées entre 2016 et 2020, qui a eu lieu le 17 novembre 2022 à EDF Lab Paris-Saclay. Cela a été pour moi une réelle fierté d’organiser et d’animer cet événement après plusieurs mois d’intense préparation. J’ai été très heureux d’avoir pu réunir plus de 120 personnes appartenant à plus de 50 organismes différents autour de cette thématique, et que tout se déroule aussi bien !
Qu’est-ce qui t’anime dans ta profession ?
Répondre à des besoins concrets, pratiques et opérationnels d’EDF, mais aussi de contribuer à la Science avec un grand « S » : apporter des avancées scientifiques qui sont ensuite réutilisées par d’autres scientifiques pour aller plus loin, chacun apportant sa pierre à l’édifice. Et c’est passionnant !
Peux-tu nous dire ce que tu aimes faire sur ton temps libre ?
Ce qui me fait plaisir après le travail, et qui est finalement aussi en lien avec ma passion pour la nature, c’est d’aller passer du temps dans mon jardin et verger que j’entretiens en permaculture. Entrecoupé de balades en forêt, cela me vide la tête et me permet d’être de nouveau opérationnel le lendemain !
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