Lundi 18 mars, l'IFOP a présenté un bilan des connaissances, des comportements et des attentes des Français propriétaires sur l’efficacité énergétique de leur logement. Commanditée par EDF, et capitalisant sur des travaux réalisés par la R&D d'EDF, l’enquête montre que les consommations énergétiques sont au cœur des préoccupations, à la fois en termes d’impact budgétaire mais aussi en termes d’impact écologique. ​​​​​​​ ​​​​​​​Retour sur cette enquête et l'apport de la R&D.

Jérémy Bouillet, Ingénieur-chercheur en sciences humaines et sociales (SHS) au département de la R&D d'EDF et pilote de l’étude R&D qui a alimenté le bilan des connaissances de l’IFOP nous partage quelques résultats de l’expertise qui a servi à le construire.

Toutes et tous sobres et écolos ? Oui, mais…

Sur le principe, les indicateurs sont au vert. Quand on regarde la question des valeurs environnementales dans l’absolu, leur perception a connu un essor considérable depuis le début des années 1970 en Europe et s’est stabilisé à des niveaux élevés (>90 %, avec des variations mais limitées entre pays européens). De même en matière de sobriété, 67 % des répondants pensent que tout est fait dans la société pour qu’on consomme toujours davantage et 89 % estiment que la consommation étant l’affaire de tous, il faut privilégier une sobriété individuelle et collective qui assure le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires.

Mais lorsqu’on demande de hiérarchiser les enjeux entre eux, la sobriété et l’écologie sont relativisées

Au niveau national, le pouvoir d’achat et la situation économique écrasent les autres enjeux ; au niveau local, il s’agit plutôt de la question du manque de services publics, de transports ou de la pauvreté. Sur ces deux scènes, les thèmes régaliens (sécurité, délinquance, immigration) arrivent en deuxième position.

Seuls 15 % des répondants estiment que l’une des deux premières priorités pour la France est le changement climatique, 10 % la dégradation de l’environnement et 16 % des répondants que la pollution (de l’air, des sols…) est un enjeu là où on habite – ce qui fait de l’enjeu environnemental une priorité de troisième ordre.

Surtout, l’enjeu climatique n’est pas partagé par toutes et tous de la même manière. Plus on se situe dans une position socioéconomique à bas niveau de qualification, instable (en CDD ou indépendant), moins les transitions apparaissent comme des enjeux importants et à solutionner. De même, les cadres sont 77 % à estimer que nos sociétés mettent trop en avant la consommation contre seulement 61 % des ouvriers pour qui « heureusement qu’il y a la consommation pour se faire plaisir ».

Les valeurs, le budget disponible et les modes de vie dans les transitions

On surestime l’impact des valeurs pour expliquer les comportements.

En ce qui concerne les valeurs, on fait comme s’il suffisait que les citoyens soient convaincus du bien-fondé des transitions pour qu’ils alignent leurs comportements dans le « bon » sens. Ce modèle comportementaliste ne fonctionne que très partiellement : la causalité entre valeurs pro-environnementales et pratiques au quotidien n’existe que pour quelques gestes comme le tri des déchets ou la baisse de chauffage. À l’inverse, l’usage de la voiture par exemple est tout à fait décorrélé de la conscience environnementale. Ainsi, en dehors des ménages qui n’ont pas de voiture du fait d’une contrainte économique, seuls 5 % des ménages se privent « volontairement » de voiture ; et ces ménages surreprésentent les diplômés et les CSP+ franciliens qui compensent alors par un usage intensif de mobilités alternatives longue distance (TGV, avion…).

Le budget disponible peut modifier des consommations, mais celles-ci sont alors subies et peu durables

L’élasticité des habitudes de consommation est assez faible et peu sensible au prix : s’il habite une passoire thermique, un ménage pourra difficilement baisser ses consommations en chauffage en dépit d’une augmentation des tarifs par exemple. Mais le budget disponible contraint les possibilités d’action des ménages avec des effets de chaînage : plus le budget est contraint, plus les changements de consommation sont guidés par l’impératif de faire des économies, donc plus on subit ses consommations plutôt que de les choisir, et plus on se sent forcé à consommer moins tout en craignant de devoir se retreindre encore davantage à l’avenir. Et plus les ménages sont dans des situations d’emploi peu qualifiées ou fragiles (CDD ou indépendants), plus les budgets sont contraints, plus les ménages courent des risques de basculer dans la précarité énergétique – un risque important à prendre en compte pour réaliser des transitions qui soient perçues comme justes.

Nos modes de vie orientent et cadrent nos possibilités d’action et nos perceptions de formes de transition

Pour expliquer les différents modes de vie en France et leur rapport à la sobriété, on part de quatre dimensions :

  • les consommations alimentaires,
  • les équipements des ménages et le logement,
  • les pratiques de mobilités,
  • les gestes domestiques.

Ces quatre dimensions structurent et encadrent nos modes de vie concrets et matériels au quotidien.

On sait que ces dimensions sont influencées par diverses variables : structurelles (les normes de goût, les infrastructures collectives, le logement…), liées au ménage (sa composition, son cycle de vie des ménages, etc.), liées aux individus (genre, âge, niveau de diplôme, revenus, etc.). Mais les relations entre les quatre dimensions décrites et ces variables ne sont ni simples, ni univoques : par exemple, les plus riches consomment en moyenne plus de biens d’équipement à taille de ménage contrôlée, ils produisent plus de déchets ou prennent davantage l’avion. Dans le même temps, ils sont davantage sensibles aux écolabels (produits bio…) ou sont plus attentifs à la qualité ou à l’ancrage local des produits qu’ils achètent.

Des méthodes permettent d’identifier une typologie de quatre grands modes de vie bien différenciés et dont les rapports à la sobriété sont bien typés. Ainsi :

  • 25 % des répondants peuvent être qualifiés de « consuméristes assumés », dont le rapport à la sobriété est assez distant. Il s’agit de ménages suréquipés, faisant usage de mobilités longues (avion notamment) et plutôt enclin à refuser toute forme de régulation des consommations alors même qu’ils ont conscience, leur situation n’est pas tenable à long terme.
  • 27 % pratiquent des formes de sobriété et d’autosuffisance, tout en maintenant des niveaux relativement élevés de confort dans leur logement. Moins mobiles que d’autres groupes, ils pratiquent des formes d’autoconsommation (alimentaire, électrique…) et sont sensibles à l’usage d’instruments incitatifs ou contraignants pour modifier les comportements.
  • 23 % pratiquent une écocitoyenneté sous contrainte économique et allient conscience écologique, petits gestes au quotidien et équipements ou mobilités importantes quand cela est possible. Ce groupe n’est pas prêt à refuser à certains éléments de confort au nom de la sobriété mais est très attaché à une approche globale des transitions qui ne reposent pas que sur les individus.
  • Enfin, 25 % des répondants pratiquent une forme de sobriété par contrainte dans le sens où on ne constate pas de suréquipement ou de mobilités importantes mais une distance avec l’écocitoyenneté. C’est un groupe pour qui croissance économique et sobriété ne sont pas compatibles, et qui à ce titre refuse des mesures coercitives de politiques publiques. Dans ce cas, la sobriété est guidée par l’impératif d’économies.

Conclusion

La question des transitions énergétique et environnementale, et en particulier celle de la sobriété, ne se résument pas à une simple question d’acceptabilité. Et il ne suffit pas de bien convaincre ou de bien informer la population pour mettre en place des modalités de consommation plus sobres et vertueuses. Conviction et information sont des prérequis mais ne peuvent faire l’économie de la compréhension de la diversité des mondes sociaux et matériels qui sont déjà là. Comment expliquer sinon que les individus les plus conscients du problème du changement climatique sont également ceux qui prennent le plus souvent l’avion ? C’est parce l’avion fait partie de leur mode de vie habituel qu’il est difficile d’y renoncer. À cet égard, l’enjeu des modalités pratiques de la sobriété ne peut faire l’économie d’un débat démocratique accompagné d’une réflexion sur l’équité des transitions.

Infographie présentant la répartition des modes de vies selon 4 typologies
Infographie présentant la répartition des modes de vies selon 4 typologies

Fiche d’identité de l’enquête

Enquête réalisée par l’IFOP pour la R&D d'EDF. ​​​​​​

3018 répondants, représentativité assurée par la méthode des quotas (âge, sexe, PCS, niveau de diplôme, taille d’agglomération) & des variables de contrôle (revenus, statut d’occupation du logement, région). Auprès de personnes résidant en France métropolitaine âgées d’au moins 18 ans.​​​​​​