L'histoire de l'intelligence artificielle est mouvementée. Théorisée au milieu du XXe siècle, dès les débuts de l'informatique, elle n'a cessé d'attiser de grands espoirs avant de tomber (à deux reprises) en disgrâce. Aussi, lorsque la reconnaissance de caractères devient une réalité en 1974, l'excitation est à son comble. Pourtant, c'est le début des désillusions pour l'IA… Pas assez puissantes, les machines ne peuvent suivre le rythme de la recherche. Les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le soufflé retombe et il entraine avec lui les financements.
La R&D d'EDF, expert des systèmes experts
Durant la décennie 80, l'intelligence artificielle entame cependant un retour progressif… Sous l'impulsion d'hommes clefs tels que le mathématicien Michel Gondran, chef de Département puis conseiller scientifique à EDF, la R&D va participer à cette nouvelle dynamique. Bruno Ginoux, jeune chercheur alors en thèse, se souvient : « Si le sujet de l'intelligence artificielle était abordé dans plusieurs services de la R&D, un groupe propre, formé d'une quinzaine de chercheurs, lui était consacré au sein du service Informatique et mathématiques appliquées. C'était la grande époque des systèmes experts. Ces systèmes, qui permettaient de construire des raisonnements logiques à partir de connaissances modélisées sous la forme de règles expertes (de type « Si conditions Alors actions ») étaient principalement conçus pour effectuer des diagnostics. » Ce champ d'applications parfaitement adapté au périmètre du groupe EDF permet alors d'aboutir à des diagnostics de pertes de sources électriques, de défauts de pompes primaires ou encore à la surveillance vibratoire des groupes turbo-alternateurs. De multiples réussites consécutives d'une innovation marquante : « Le groupe intelligence artificielle est parvenu à développer son propre langage et son propre moteur de système expert. Cette invention, mise au point par Jean-Luc Dormoy, a même été commercialisée par STERIA sous le nom de GENESIA II » poursuit, encore admiratif, Bruno Ginoux.
La R&D d'EDF à la pointe
La R&D d'EDF est alors à la pointe de la recherche en IA. Le jeune chercheur, toujours en thèse, porte en ce début des années 90, un sujet prometteur : la programmation automatique. Le principe : un système expert bourré de connaissances d'algorithmie et de programmation capable de générer automatiquement des programmes au lieu de les écrire manuellement. Les résultats sont probants et des tests sont menés sur l'aide à la conduite d'une centrale thermique (40 000 lignes de C généré à partir d'une spécification mathématiques de moins de 2000 lignes) mais aussi sur une sous-partie de l'arrêt d'urgence d'une centrale nucléaire. Le graal est atteint lorsque le système expert générateur de programme devient capable de se générer lui-même permettant de le faire évoluer et de le maintenir beaucoup plus facilement. Une période passionnante pour Bruno Ginoux qui va néanmoins prendre fin rapidement : « J'avais été publié dans l'un des plus grands congrès mondiaux d'Intelligence Artificielle et mes travaux avaient été particulièrement remarqués. EDF avait donné son accord pour poursuivre le développement à l'échelle industrielle, à condition de le faire en partenariat avec une autre grande société. Mais très rapidement le contexte a changé. Nous sommes entrés dans le deuxième hiver de l'IA. »
Un coup de froid pour l'IA…
Débute en effet une seconde période de disette mondiale pour l'intelligence artificielle. Les systèmes experts montrent des limites. L'IA ne parvient toujours pas à vaincre les plus grands champions d'échecs et les systèmes de traduction automatique continuent d'être très approximatifs. Faute de partenaires financiers, Bruno Ginoux doit renoncer à son projet de partenariat et le groupe intelligence artificielle d'EDF est dissous, comme dans la plupart des laboratoires de recherches du monde entier. Mais la R&D d'EDF n'abandonne pas l'IA pour autant. Les raisonnements sur les connaissances laissent la place aux traitements sur les données. C'est le début du Data Mining, qui préfigure le Data Analytics que nous connaissons aujourd'hui. Le principe : produire des connaissances à partir de données. Une porte d'entrée vers le monde du Machine Learning qui se profile…
Avant sa véritable éclosion
Vers 2010, l'heure du Big Data sonne et avec elle celle du deep learning : « Il faut savoir que les réseaux de neurones ont été conceptualisés dès les années 50. La première intelligence artificielle était d'ailleurs plutôt fondée sur ce principe et la reconnaissance de caractères était l'une des premières réalisations marquantes de cette IA connexionniste. Mais elle n'a pas percé en raison des puissances de calcul qui n'étaient pas suffisantes et du manque de données disponibles à l'époque ». Avec l'avènement d'un monde tourné vers la donnée, la donne change. Des progrès fulgurants ne cessent d'être faits et la R&D prend part à cette révolution. Au sein du groupe EDF, les applications de l'intelligence artificielle ne manquent pas. On retrouve notamment Cameli@, un système de traitement automatique des courriels permettant de les router vers le bon compte client. Une aubaine pour l'entité Commerce qui l'a développée en collaboration avec la R&D et qui peut désormais trier ses mails en fonction des sujets à traiter : coupure d'eau, problème lié à une facture ou bien encore à un abonnement. Parmi les succès déjà enregistrés, citons également Albert, un système de reconnaissance des étiquettes de bâtiments réacteurs. « Pour le résumer très rapidement, il s'agit d'analyse d'images. Albert va être capable, sur des images d'une centrale, de localiser et de lire les étiquettes minuscules qui identifient les équipements, ce qui permet à un opérateur de savoir exactement où aller et ne pas rester trop longtemps dans des zones potentiellement à risque » résume Bruno Ginoux. Enfin, comment ne pas évoquer Métroscope, une start-up issue de la R&D qui a développé des systèmes d'aide au diagnostic sur le circuit secondaire des centrales nucléaires et qui les vend désormais à l'externe et dans d'autres secteurs industriels.
Si cette liste de réussites récentes est loin d'être exhaustive, de nombreux défis attendent encore la R&D ! Il s'agira notamment d'arriver à combiner l'apprentissage automatique (l'IA connexionniste) aux systèmes experts (l'IA symbolique), qui bien que plus anciens, conviennent mieux à certaines situations. Un challenge palpitant qui rejoint des expertises variées développées depuis de nombreuses années par la R&D d'EDF.