Portrait de chercheur : Pierre Moussou
Pierre Moussou, spécialiste des interactions fluide-structure dans les installations industrielles
Un clapet qui bat, un tuyau qui vibre, une vanne qui cavite… les vibrations n’ont pas de secret pour ce directeur adjoint de l'IMSIA, ingénieur chercheur senior en mécanique ! Une expertise acquise dans le domaine nucléaire, mais qui s’applique à de nombreux autres secteurs industriels. Avec toujours un double objectif : anticiper les phénomènes susceptibles de mener à la défaillance, et se doter de moyens d’analyse pour réagir correctement lorsqu’ils se produisent.
Qu’est-ce qui vous a mené à cette spécialité ?
Ma première approche de la mécanique remonte au tout début de ma carrière. Attiré par la recherche fondamentale, j’avais complété mon diplôme d’ingénieur en électricité et électronique par un DEA sur les semi-conducteurs et j’ai effectué mon service militaire au sein d’un laboratoire du CNRS. Mon sujet de recherche était très fondamental, et il avait comme finalité l’analyse des fissures au niveau des fixations des ailes d’avion. Après une thèse en génie électrique, j’ai intégré la R&D d’EDF au sein du Département Retour d’Expérience, Mesures Essais en Seine-Saint-Denis. Mon premier travail dans l’entreprise portait sur des méthodes de mesures radioactives. C’était après le grand démarrage du parc nucléaire français où des dizaines de tranches ont été construites en une décennie, et ont commencé à produire. Des escouades de techniciens d’essai partaient à l’époque en camionnette collecter des données sur les sites de production, afin d’alimenter les dossiers de réception et de qualification. Les mesures radioactives permettaient d’ausculter l’installation de manière non intrusive, en posant des capteurs sur des parois ou des conduites. Ces quatre ans de recherche très appliquée m’ont donné de bons repères sur le milieu nucléaire. J’ai ensuite rejoint le département Acoustique et Mécanique Vibratoire à Clamart. Le calcul numérique était alors en plein essor, avec l’idée qu’il remplacerait les activités expérimentales qui coûtaient fort cher... Cette période m’a beaucoup appris, sans toutefois me faire oublier la nécessité de ce toucher concret que j’ai connu dans mon premier poste.
Un projet dont vous êtes particulièrement fier ?
La méthode des spectres pour les piquages sensibles. Une centrale nucléaire, ce sont des centaines de kilomètres de tuyauteries et des dizaines de milliers de piquage (un piquage est un terme consacré pour une ligne de tuyauterie de petit diamètre reliée à une grande). Certaines ont des fonctions importantes pour la sûreté, et des fissures ont été détectées sur certains piquages, signe d’un niveau vibratoire trop élevé. L’idée de la méthode des spectres était de détecter les signes avant-coureurs pour résoudre les problèmes de vibration anormale. Il s’agissait de caractériser des dizaines de milliers de cas, de déterminer ceux qui relèvent d’un fonctionnement normal ou pas et de traiter les cas pathologiques. J’ai été très fier de la voir déployée avec succès sur l’ensemble du Parc.
Votre prochain challenge ?
Depuis l’année dernière, j’ai pris des responsabilités à la direction de l’IMSIA, un laboratoire commun ENSTA, CEA, CNRS et EDF R&D. 28 ans après mon service militaire, me voilà revenu sur le plateau de Saclay, dans l’équipe de direction d’un laboratoire CNRS où l’on travaille sur la mécanique de la rupture… On peut dire que le destin m’a rattrapé ! Faire collaborer efficacement des personnalités très attachées à leur autonomie et issues de mondes radicalement différents – le milieu académique et l’industrie – est un défi fascinant. Cela consiste un peu, comme le dit l’expression anglaise « to herd cats », à être le berger d’un ensemble d’individualités marquées ! L’autre défi, plus technique, sera de mettre l’expertise acquise sur le parc nucléaire actuel au service d’une nouvelle génération de réacteurs, celle des EPR qui vont bientôt démarrer, celles qui prendront la suite et d’autres domaines que le nucléaire, comme l’hydraulique, et l’éolien.
L’avenir de la R&D selon vous ?
La R&D existe d’autant plus aisément qu’elle s’appuie sur une industrie vivante. Si on perd une activité industrielle, on perd tout le pan de recherche qui va avec. Pour moi, la recherche est associée au progrès. Mais le regard que le grand public pose sur nous a changé. Les chercheurs qui travaillent dans le domaine industriel sont de plus en plus perçus –à tort‑ comme des gens qui ne soucient pas de l’environnement. D’où l’importance de bien expliquer ce que l’on fait, de manière simple, mais pas simpliste !
« Pour moi, la recherche est associée au progrès. »