Julien Villeret est Chief Innovation Officer du groupe EDF
« Expérimenter la sobriété, c’est l’adopter. »
Novembre 2022
Dans le cadre d’un publi-communiqué paru dans Le Monde du 15 novembre 2022, Julien Villeret revient sur les solutions les plus prometteuses pour un monde plus sobre.
Quelle est votre définition de la sobriété ?
J.V. - Il faut d’abord distinguer l’efficacité énergétique de la sobriété. L’efficacité énergétique consiste à consommer moins pour un usage qui ne change pas. Cela concerne principalement l’amélioration des technologies, à travers un électroménager moins gourmand en eau ou électricité, ou bien de nouveaux trains moins consommateurs d’énergie, par exemple. Dans le domaine de l’éclairage, l’introduction de la LED (Light Emitting Diode) a été une transformation rapide dans le sens de l’efficacité énergétique qui fut sans impact pour l’utilisateur, alors qu’elle a pourtant bouleversé les chaînes d’approvisionnement d’ampoules.
La sobriété va un cran au-delà, car elle oblige à repenser les besoins, à la fois par rapport aux usages et par rapport aux limites de la planète. Il s’agit de repenser sa consommation, de réduire sa consommation, et éventuellement de refuser une partie de sa consommation. La sobriété se situe au croisement de deux dimensions : le vouloir et le faire. C’est à la fois réfléchir à notre façon de vivre et agir concrètement pour réduire ou changer nos manières de consommer. Chez EDF, nous pensons qu’il est possible de concilier sobriété et bien-être. Nous prônons une sobriété choisie.
Quelle est la place de la technologie et de l’innovation dans cette sobriété, que l’on décrit parfois comme un renoncement ?
On confond facilement innovation et technologie. C’est une distinction pourtant importante parce que l’aspect technologique est insuffisant pour changer nos manières d’agir, qui sont au cœur de l’idée de sobriété. La technologie ne résout pas la question du modèle économique, par exemple. À ce titre, les principes de l’économie circulaire permettent de vrais changements de modèles, vers plus de sobriété. L’innovation dans les environnements réglementaires est également très importante. Certaines évolutions des textes peuvent contribuer à des économies de matière et d’énergie à très grande échelle. Je pense à l’exemple récent de l’Union européenne, qui a imposé à tous les fabricants de smartphones la connectique USB-C pour les chargeurs. C’est une façon de contribuer à une forme de sobriété.
Enfin, l’innovation vers plus de sobriété passe par la relation avec l’utilisateur, ce que l’on appelle aussi expérience utilisateur. Il est important de limiter la complexité qui freine les actions vertueuses tout en luttant contre une forme de méconnaissance de ce qu’est la sobriété. C’est pourquoi la pédagogie est au cœur du sujet, et avec elle la mise à disposition des outils pour agir concrètement. L’innovation est alors à la fois technologique et d’usage.
Avez-vous des exemples marquants d’innovations orientées vers l’idéal de sobriété ?
Dans le domaine industriel, EDF a investi dans la société italienne Enerbrain, qui opère dans toute l’Europe. Grâce à des capteurs, elle donne aux industriels une information en temps réel sur l’énergie consommée et le CO2 émis par leurs opérations. Ils peuvent ensuite réaliser d’importantes économies en jouant automatiquement sur le renouvellement d’air, sur le démarrage du chauffage ou les climatisations. Ce sont des solutions qui s’appuient sur l’intelligence artificielle et qui donnent des résultats très concrets. Avec nos designers, nous travaillons également à différentes manières de sensibiliser les clients à la sobriété sans saturer leur espace ou leur cerveau. Il s’agit de développer des solutions qui permettent très rapidement de comprendre, de visualiser, et d’agir.
Le fil conso, qui est déjà en place dans l’application EDF&Moi permet ainsi de voir très simplement si la consommation d’électricité d’un foyer est stable, en augmentation ou en baisse. Il est même possible de se comparer avec son quartier ou avec des foyers similaires. Cela s’inscrit dans une démarche de nudge, qui va susciter chez l’individu une sobriété volontaire.
Nous travaillons également sur des objets prospectifs. Nous avons présenté au salon VivaTech un miroir qui permet de visualiser de manière très simple la consommation d’énergie et les émissions de CO2 d’un domicile. Toujours dans une logique de sobriété, nous avons développé une solution qui peut sembler anecdotique mais dont l’efficacité est réelle. Il s’agit d’un petit thermomètre en papier qui coûte une dizaine de centimes à produire et qui a pour vocation d’aider les foyers en situation de précarité énergétique à bien régler leur chauffage. Il est très complexe de percevoir la température qu’il fait dans une pièce sans thermomètre. C’est pourtant un enjeu majeur, car un degré de chauffage en moins représente environ 7 % d’économies.
Quels sont les freins à l’adoption des solutions de sobriété énergétique ?
Les freins sont les mêmes que pour l’innovation en général. Le premier concerne la question de la complexité. Les produits dont on ne comprend pas immédiatement le fonctionnement ou l’utilité entraînent des taux d’abandon très importants. Le rôle d’un énergéticien comme EDF est de développer des outils qui masquent la complexité.
Le deuxième frein concerne l’acceptabilité humaine. Ce que l’on propose doit être acceptable en termes de confort, car nous avons tous le réflexe naturel de ne pas nous mettre dans une situation difficile ou inconfortable. Nos solutions doivent également être acceptables sur le plan de la surveillance et du contrôle. La sobriété ne peut pas être vécue comme une forme de liberté restreinte, sous surveillance. Encore une fois, le design joue un rôle central pour garantir au client un vrai contrôle sur ses actions¹.
Le troisième frein est peut-être le plus important : c’est le coût. On parle beaucoup de la smart home, qui est promise à un développement rapide mais dont le coût reste élevé. Or, pour beaucoup de gens, dépenser quelques centaines d’euros pour s’équiper de thermostats connectés ou de prises qui s’éteignent automatiquement est impossible. La sobriété doit être intégrée directement dans le modèle économique des solutions. C’est le cas avec EDF&Moi, qui est directement intégré au contrat d’électricité et qui ne demande pas d’investissement du client.
¹ La démarche design permet de concevoir des expériences utilisateur adaptées à un double impératif : connaître l’utilisateur pour lui proposer les meilleures décisions basées sur des données réelles, et, en même temps, ne pas entrer dans une logique intrusive
Comment envisagez-vous l’avenir de la sobriété énergétique ?
Les avancées sociétales reposent souvent sur des périodes de crise. La crise énergétique que l’on vit aujourd’hui - avec la guerre en Ukraine ou l’urgence climatique - nous pousse à une forme de sobriété. C’est l’occasion d’ancrer une prise de conscience sur la nécessité de protéger nos ressources, tout simplement. Et je pense qu’expérimenter la sobriété, c’est l’adopter. Découvrir que l’on peut vivre aussi bien tout en consommant moins est assez transformateur.
Pendant la crise du COVID-19, l’industrie de la confection et la fast-fashion par exemple, ont souffert de la découverte que l’on pouvait rester beaux et élégants en achetant moins de vêtements ! Quand on aura découvert que c’est la même chose avec l’énergie, l’effet sera durable.