Veronica Bermudez, experte des dispositifs photovoltaïques, directrice du Centre énergie du Qeeri (Qatar Environment and Energy Research Institute)
La question du mix énergétique est-elle essentielle ?
Mai 2022
Augmenter les énergies renouvelables, intensifier l’électrification, investir massivement pour favoriser la transition des sites industriels… Les solutions pour lutter contre le réchauffement climatique semblent connues de tous, jusqu’à en devenir des slogans parfois vidés de leurs véritables enjeux. Veronica Bermudez, experte des dispositifs photovoltaïques, directrice du Centre énergie du Qeeri, invite à la nuance pour faire émerger des réponses réalistes et efficaces.
En simplifiant à l’extrême, ne pourrait-on pas dire que la solution au réchauffement climatique tient en une formule : « électrification massive + hausse des énergies renouvelables ? » La voie est toute tracée, non ?
Veronica Bermudez - C’est une fois que vous avez énoncé ce principe de base que les difficultés commencent ! L’électrification s’avère décisive mais à condition de maîtriser ses conditions de production. Une trop grande part provient encore de la combustion d’énergies fossiles. Les émissions de CO2 causées par le secteur de l’électricité doivent chuter de 60 % entre 2019 et 2030. Et n’oublions pas que certaines activités comme l’industrie lourde, la production d’acier ou les transports ne peuvent pas être immédiatement électrifiées. Dans votre début d’équation « électrification massive + hausse des énergies renouvelables », il manque donc un élément important.
Lequel ?
V. B. - La captation de carbone. Aujourd’hui, il y a 150 % de CO2 en plus dans l’atmosphère qu’avant la révolution industrielle du XIXe siècle et, comme je vous le disais, certains secteurs mettront beaucoup de temps avant d’afficher « zéro émission ». Il est donc essentiel de capturer et d’absorber le carbone, que ce soit à la source (près des sites industriels concernés) ou dans l’atmosphère.
Ne mise-t-on pas trop sur les avancées technologiques ? Le discours sur la « responsabilité de chacun », si répandu il y a quelques années, semble aujourd’hui marquer le pas.
V. B. - Et c’est dommage ! Nous devons toujours réduire notre consommation. En 2010, l’énergie fossile, ce que l’on nomme communément « oil and gas » dans de nombreuses études, représentait 80 % de la consommation générale. Aujourd’hui, ce chiffre est identique ! Or, les énergies renouvelables ont progressé entre-temps. Mais nous n’avons jamais émis autant de CO2 ! Conclusion évidente : la consommation a augmenté. La réduction de la consommation d’énergie reste donc un point absolument déterminant pour progresser vers le cap de 2050.
Le mix énergétique constitue aussi l’un des éléments clés. Existe-t-il un mix idéal ?
V. B. - Non, et pour une bonne raison : si l’enjeu est mondial, le mix, lui, dépend de réalités et de caractéristiques très locales. Les ressources naturelles varient selon les pays. Au Qatar, par exemple, le vent est rare mais le soleil abondant. Le gouvernement joue donc la carte de l’énergie solaire. Mais le pays voisin, l’Arabie saoudite, plus vaste, est traversé par un vent fort au Nord et connaît de fortes chaleurs au Sud. Il peut donc s’orienter vers un mix d’éolien et de solaire. On voit bien que la généralisation de cette solution pour toute cette région du monde n’aurait aucun sens.
La qualité du réseau entre aussi en ligne de compte. La France, par exemple, bénéficie de bonnes ressources naturelles et d’un réseau très fiable. Il est donc possible d’introduire progressivement les énergies renouvelables sans déstabiliser le pays. L’enjeu se portera plutôt sur l’entretien, la modernisation des infrastructures nucléaires, la capacité à transmettre les savoir-faire et les compétences. Il n’existe donc pas de mix miracle, chaque pays doit trouver sa voie pour atteindre le même objectif.
Légendes et crédits
- Optimisation de l'éclairage dans les ateliers de l'Usine PSA Peugeot Citroën de Mulhouse - Crédits : Eranian Philippe / TOMA
- Démonstrateur de captage de CO2, centrale thermique du Havre - Crédits : Castel Franck / TOMA
- Quartier d'affaires de La Défense - Crédits : Sergey Molchenko / Shutterstock
- Crédits : IndianSummer / Shutterstock