Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, directrice de recherche au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), coprésidente du groupe n° 1 du Giec
Peut-on dire que la COP 26 est une réussite ?
Mai 2022
Coprésidente du groupe no 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), membre du Haut conseil pour le climat, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte revient sur les moments forts de la 26e conférence des parties (COP26). Elle défend une approche pragmatique, fondée sur les données scientifiques, contre les termes flous et les slogans alarmistes. Décryptage et point d’étape avec l’une des plus grandes spécialistes du réchauffement climatique.
Vous avez assisté à la COP26, qui s’est tenue du 1er au 13 novembre 2021 à Glasgow. Que retenez-vous de cet événement ?
Valérie Masson-Delmotte - Tout d’abord, l’attention accrue accordée aux informations scientifiques. C’est un élément essentiel car les débats sur le climat doivent s’appuyer sur des données factuelles et précises afin d’être le plus concrets possibles. À Glasgow, nous avons ainsi pu constater que les émissions de CO2 stagnent aujourd’hui. Une évaluation réalisée en tenant compte et en corrigeant les effets de la pandémie. Les engagements pris avant cette COP induisaient un réchauffement de + 2,7 °C ou davantage en fin de siècle. La hausse se poursuit mais elle semble moins forte que prévu. Nous serions plutôt sur une trajectoire à + 2 °C.
Cette COP a-t-elle donné lieu à de nouvelles décisions ?
V. M.-D. - Oui, notamment sur le dossier du méthane. Ce gaz à effet de serre détériore la qualité de l’air mais il n’était pas encore clairement ciblé. C’est chose faite avec un nouvel accord sur ce point. Bien sûr, il convient de rester pragmatique et réaliste : les pays concernés ne représentent que 50 % des émissions de méthane. Il n’empêche que le sujet est désormais sur la table et qu’il sera possible d’avancer. Par ailleurs, la COP26 a vu apparaître un consensus sur l’article 6 de l’accord de Paris. Il concerne le marché carbone, dans lequel chaque pays peut échanger des unités de réduction de CO2 afin d’atteindre ses propres objectifs de réduction d’émissions. Cette disposition divisait les États depuis six ans et les négociations ont finalement abouti. Enfin, des discussions ont débuté sur l’adaptation des infrastructures et les situations d’urgence. Le premier cas de figure concerne en priorité les pays en voie de développement, qui se voient obligés d’adapter leurs économies aux exigences de la lutte contre le réchauffement climatique. Les situations d’urgence touchent généralement de petits États insulaires. L’influence humaine sur le climat peut en effet être à l’origine d’événements graves comme des crues extraordinaires, des raz-de-marée... Dans les deux cas de figure, la question du financement s’avère cruciale pour apporter des réponses adaptées après un drame, mais aussi en amont pour l’éviter.
Le réchauffement climatique est aussi devenu une question de sémantique. Aujourd’hui, on entend beaucoup parler de « bas carbone ». L’expression vous paraît-elle adaptée ?
V. M.-D. - Pas tout à fait. Elle me semble découler d’une logique contestable : une trajectoire qui mêle des critères divers permettant de déterminer ce qui émet le moins de carbone à un moment donné. Et puis, pourquoi dit-on « bas » ? Par rapport à quoi ? Et le mot « carbone »… Cela veut-il dire que l’on ne prend en compte que le CO2 ? Quid des autres gaz ? Le concept de neutralité carbone me paraît également problématique. Il a du sens à l’échelle d’un État ou même de la planète mais, pour une entreprise ou un produit, il devient nettement plus flou. Or, des labels « neutre en carbone » apparaissent sur des vêtements, par exemple. Ils supposent que la même quantité de CO2 émise dans l’atmosphère pour la fabrication de ces produits a été ensuite retirée, éliminée et stockée de façon durable. Alors que nous savons bien qu’il ne s’agit souvent que de compensation… Ce genre de formulation entretient la confusion.
Aujourd’hui, sur quels points portez-vous un regard optimiste ?
V. M.-D. - Les mentalités changent. C’est perceptible dans les habitudes de consommation, par exemple. Mais, je note aussi une évolution chez les jeunes ingénieurs, qui sont sensibilisés, réellement, à la recherche de nouvelles solutions. De plus, l’accès aux données et leur utilisation permettent de développer des outils de suivi novateurs et de nouveaux services. Les entreprises reflètent bien l’ensemble de ces mutations. Certaines d’entre elles ont compris que les grandes déclarations d’intention ne servaient plus à rien, qu’il leur fallait mener un vrai travail de fond. Une prise de conscience qui touche tous les échelons hiérarchiques : les conseils d’administration saisissent de mieux en mieux les enjeux et les jeunes salariés sont très attentifs aux questions climatiques. Quand ces deux niveaux partagent les mêmes préoccupations, les choses peuvent réellement changer.
Légendes et crédits
- Barrage de Serre-Ponçon - Crédits : BERNARD GAËTAN
- Parc éolien du Beaujolais vert - Crédits : BERNARD GAËTAN
- ICEDA de Bugey - Crédits : BERNARD GAËTAN
- Crédits : Stuart Jenner / Shutterstock