Catherine Bauby, directrice de la stratégie du groupe EDF
L’enjeu est d’électrifier massivement les usages de l’énergie et poursuivre le développement de notre parc de production d’électricité bas carbone
Mai 2022
Catherine Bauby, directrice de la stratégie du groupe EDF, nous éclaire sur les leviers d’action d’EDF pour aider à consommer moins et mieux et atteindre la neutralité carbone en 2050.
Dans le panorama mondial des mix électriques, la France affiche un profil singulier : 92 % de son électricité est déjà décarbonée grâce à la complémentarité du nucléaire et des EnR. Notre pays a-t-il déjà fait le plus dur vers sa neutralité carbone ?
Catherine Bauby - Ce serait trop beau ! Nous savons produire de l’électricité décarbonée grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables (hydraulique, éolien et solaire photovoltaïque). La France dispose, certes, d’une longueur d’avance mais l’enjeu est de la maintenir. Derrière la question du mix électrique de demain, le vrai défi de la lutte contre le réchauffement climatique et de l’atteinte de la neutralité carbone d’ici à 2050, c’est de sortir des combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz), fortement émetteurs de CO2 et qui représentent près de deux tiers de nos consommations, pour nous déplacer, pour nous chauffer, dans nos industries…
Justement, la projection de la demande d’électricité en 2050 sur laquelle se basent les décisions des pouvoirs publics ne fait pas consensus. RTE table sur 645 TWh dans son scénario central, l’Ademe envisage entre 410 et 840 TWh selon les scénarios…
C. B. - Ces projections sont issues d’études sérieuses, mais dont les hypothèses de départ sont très différenciées : un taux d’électrification de l’industrie plus ou moins important, un développement des usages de l’hydrogène plus ou moins rapide, une sobriété plus ou moins poussée… Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, pour atteindre la neutralité carbone, il est indispensable de progresser sur l’efficacité énergétique et aussi d’électrifier massivement nos usages : cette électrification engendrera des nouveaux besoins supérieurs aux économies générées par l’efficacité énergétique. Donc la consommation d’électricité va croître significativement. Du reste, les incertitudes sur la projection précise de la consommation d’ici à 2050 amènent à se mettre en position de rester manœuvrant dans la définition du mix électrique de demain.
En février 2022, Emmanuel Macron a annoncé la construction de six EPR de seconde génération, dont le premier réacteur sera mis en service en 2035. Ce nouveau parc nucléaire est-il suffisant pour rester « manœuvrant » d’ici à 2050 ?
C. B. - Cette décision va dans le sens des recommandations d’EDF de maintenir un socle significatif de nucléaire. Aujourd’hui, nous disposons de 61,4 GW de production nucléaire installée. Mais en 2050, seuls 15 GW n’auront pas encore atteint soixante ans d’exploitation. Le président de la République a aussi annoncé mettre à l’étude la construction de huit EPR2 supplémentaires. Il a par ailleurs renforcé les objectifs des énergies renouvelables : porter la puissance du parc d’éolien terrestre à 37 GW (18,5 GW aujourd’hui), développer 40 GW d’éolien en mer et dépasser les 100 GW de photovoltaïque. L’État envisage par conséquent d’emmener la France vers un mix proche du scénario N2 de RTE(1) pour 2050, soit un mix électrique constitué à environ 40 % de nucléaire – 40 GW – et à environ 60 % d’énergies renouvelables – environ 200 GW. La question n’est pas tant de savoir si ce sera finalement 40 % de nucléaire ou 50 %. Nous n’avons pas besoin de figer ce mix aujourd’hui. L’important, c’est que ce socle nucléaire permette effectivement à la France de garder des marges de manoeuvre, notamment pour répondre à une consommation électrique plus élevée que projeté.
Quels sont les leviers qui permettraient à EDF de porter le nucléaire à 50 % du mix en 2050 ?
C. B. - L’atteinte d’un mix électrique à 50 % de nucléaire en 2050 nécessite de disposer d’un parc nucléaire d’environ 50 GW. C’est un défi industriel, mais nous disposons de plusieurs solutions techniques pour relever ce défi. Tout d’abord, il est évident qu’il va falloir maintenir un rythme élevé dans le programme de construction des EPR2. En complément, le développement de plusieurs small modular reactors (SMR – réacteurs de petite puissance, 340 MW) pourrait contribuer également à l’atteinte de ce mix ; à ce titre, la construction d’un premier démonstrateur SMR en France à l’horizon 2030-2035 démontrera la viabilité économique et industrielle de ce levier. Enfin, ne l’oublions pas, nous instruisons la possibilité de poursuivre l’exploitation des tranches existantes au-delà de soixante ans. Cette étude engage plusieurs équipes d’EDF, et se fait bien évidemment en concertation avec l’Autorité de sûreté nucléaire. Par exemple, aux États-Unis plusieurs réacteurs ont d’ores et déjà obtenu une licence d’exploitation à quatre-vingts ans.
Depuis dix ans, la France développe en moyenne 2 à 3 GW par an de nouvelles capacités éoliennes et photovoltaïques. Atteindre 60 % d’énergies renouvelables dans le mix électrique impliquerait un rythme de 6 GW/an. Est-ce réaliste ?
C. B. - Pour l’instant, la France n’est pas sur le bon rythme et n’est pas non plus alignée sur la trajectoire fixée par l’État dans sa programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour la période 2019-2023. L’objectif de 6 GW/an pendant trente ans est très ambitieux. Il faut bien avoir en tête qu’il y a aujourd’hui des freins notamment administratifs à lever pour accélérer l’installation des EnR ; par exemple, pour l’éolien terrestre il s’écoule en moyenne cinq à huit ans entre l’appel d’offres et la mise en service, contre quatre ans en Allemagne.
Quelle sera la contribution d’EDF au développement des productions renouvelables ?
C. B. - Notre contribution est déjà majeure. En France, en capacités installées et en développement, EDF est leader sur l’éolien terrestre et offshore. Avec notre plan solaire, nous visons d’installer chaque année 30 % des nouvelles capacités photovoltaïques. N’oublions pas non plus notre parc hydraulique, qui va continuer à produire 8 % de l’électricité française. Car, avec le nucléaire, son rôle sera essentiel pour apporter une partie des flexibilités nécessaires à la gestion de l’intermittence de l’éolien et du solaire.
En complément de la production, comment accompagner les clients vers la neutralité carbone ?
C. B. - Il y a deux grands aspects à prendre en compte : la décarbonation et l’efficacité énergétique. Chez EDF, nous accompagnons nos clients afin qu’ils consomment moins d’énergie, et mieux, tout en gardant le même usage. Pour décarboner le transport, nous avons mis en place le Plan mobilité électrique avec l’ambition de fournir de l’électricité bas carbone à 30 % des automobilistes sur nos marchés. Pour l’industrie, nous travaillons sur des solutions d’électrification des procédés industriels et sur des solutions visant à récupérer la chaleur de ces mêmes procédés. Enfin, dans le secteur du bâtiment, nous sommes actifs sur le marché des pompes à chaleur, de l’installation de panneaux solaires, ou encore des réseaux de chaleur collectifs alimentés par des énergies de récupération ou par des énergies renouvelables.
Deux ans après son adoption, la PPE 2019-2023 est-elle déjà caduque ?
C. B. - Elle l’est de fait en raison du retard pris dans le développement des énergies renouvelables. La PPE en cours a été élaborée dans un monde sensiblement différent de celui d’aujourd’hui. Depuis, l’Union européenne a rehaussé ses objectifs à l’horizon 2030, passés à – 55 % d’émissions de CO2 par rapport à 1990, contre – 40 % quand la PPE a été préparée. Et cela nécessite un changement de trajectoire très marqué. Il va falloir accélérer l’électrification des usages sur la décennie 2020-2030 par rapport à ce qui avait été projeté il y a encore un ou deux ans. La meilleure stratégie consiste donc à maximiser la production d’électricité bas carbone, notamment en accélérant le développement des renouvelables et en réinterrogeant la trajectoire de fermeture des tranches nucléaires existantes. Dans le cadre de la concertation sur la future Stratégie française pour l’énergie et le climat, et de la préparation de la prochaine PPE, nous avons publié mi-février notre cahier d’acteurs. Nous demandons à faire évoluer la PPE afin de permettre la poursuite de l’exploitation en toute sûreté du parc nucléaire existant et ainsi conserver les marges essentielles pour sécuriser la réussite de la transition énergétique.
⁽¹⁾ En 2021, dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 », RTE a étudié six scénarios de mix électrique pour emmener la France vers la neutralité carbone en 2050.
Légendes et crédits
- Panneaux solaires au crépuscule, en arrière-plan éoliennes et pylone THT - Crédits : lovelyday12 / Shutterstock
- EDF solutions solaires Parc éolien de la montagne ardéchoise - Crédits : ANSELLEM BRUNO / AGENCE SIPA
- EPR Flamanville - Crédits : EDF
- CNPE de Chooz B - Crédits : BURNOD JEAN LOUIS
- Centrale solaire de Loyettes - Crédits : BERNARD GAËTAN
- Barrage de Tignes - Crédits : BERNARD GAËTAN
- R&D d'EDF Les Renardières : démonstrateur d'agriculture photovoltaïque AGRI-P - Crédits : DASTE ADRIEN / TOMA
- Crédits : Daniel Ingold - DEEPOL by PlainPicture