Armand Hatchuel, professeur et chercheur en sciences de gestion et en théorie de la conception à Mines Paris Tech
Pourquoi la notion de justice est-elle essentielle ?
Mai 2022
Et si la question du dérèglement climatique n’était pas abordée sous le bon angle ? Et s’il fallait revenir à la source des réflexions et penser avant tout à la notion de justice pour espérer déboucher sur des solutions concrètes ? Professeur et chercheur en sciences de gestion et en théorie de la conception, pionnier des travaux sur le statut d’entreprise à mission, Armand Hatchuel s’appuie sur l’histoire antique pour apporter de nouvelles réponses au défi majeur d’aujourd’hui. Entretien.
Comment ne pas pénaliser les plus fragiles économiquement ? Quand on évoque le réchauffement climatique, la notion de justice s’invite rapidement dans le débat. Pourquoi ?
Armand Hatchuel - Penser l’idée de justice est absolument essentiel. Parce que, bien sûr, il faut proposer un cadre équitable pour ne pas faire peser la transition environnementale sur une seule catégorie de personnes ou de pays. Mais aussi parce qu’en menant cette réflexion on comprend très vite que nous abordons la question du climat avec une logique inadaptée, celle du « pollueur payeur ».
Celui qui pollue le plus paie le plus ou change ses habitudes. Cela paraît logique. En quoi est-ce inadapté ?
A. H. - Ce modèle vient de la théorie des équilibres marchands. Pour faire baisser la consommation d’un produit, il suffit d’en augmenter le prix. Ce mécanisme n’a rien à voir avec la justice. Celui qui a les moyens de payer le fait, point final. Par ailleurs, dans le cadre du réchauffement climatique, il ne s’agit pas vraiment d’une « pollution ». Historiquement, le CO2 n’a jamais été considéré comme une substance dangereuse. Nous en rejetons en respirant et nous ne sommes pas pour autant des pollueurs. Il me semble plus juste de parler d’un péril commun. Or les mécanismes du marché s’avèrent inefficaces face à un péril commun.
Alors, comment y faire face ?
A. H. - La loi de Rhodes, formulée durant l’Antiquité, nous l’enseigne. Elle stipule que, pour sauver son bateau, le capitaine peut sacrifier une marchandise. À l’arrivée au port, certains récupéreront leur bien, d’autres non, puisque le capitaine aura jugé bon de le jeter par-dessus bord. Ils seront alors indemnisés par les autres, plus chanceux, à hauteur de ce qui a été sauvé. Le sacrifice qu’ils ont accepté a été utile à tous, il est donc normal de prévoir une compensation.
Dans le cadre du réchauffement climatique, quelle serait la traduction concrète de cette loi antique ?
A. H. - L’Inde et la Chine émettent plus de CO2. Leur transition vers une économie plus sobre pourrait être en partie financée par d’autres nations, avec des montants calculés selon la situation géographique, les liens géopolitiques des pays concernés. En politique intérieure, le raisonnement tient également. Certains Français doivent changer de voiture, abandonner le diesel alors qu’ils n’en ont pas forcément les moyens. Au lieu de les traiter de pollueurs, il est possible de faire contribuer l’ensemble du pays, qui aura tout à gagner à cette évolution.
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