Alexandre Perra est directeur exécutif du Groupe EDF en charge de l’Innovation, de la RSE et de la Stratégie
« Je ne crois pas à l’opposition entre sobriété et progrès. »
Novembre 2022
Dans le cadre d’un publi-communiqué paru dans Le Monde du 5 novembre 2022, Alexandre Perra revient sur la place de la sobriété dans la construction d’un monde durable
On parle beaucoup de sobriété, est-elle nécessaire à la quête de neutralité carbone ?
A.P. - Toutes les études prospectives montrent qu’il faut consommer moins d’énergie au niveau global pour atteindre la neutralité carbone. En France, nous devons baisser de 45 à 50 % la consommation totale d’énergie. Y parvenir suppose d’activer simultanément plusieurs leviers. Le premier d’entre eux est l’électrification : passer d’une voiture thermique à une voiture électrique consomme moins d’énergie, c’est une question de rendement.
Le deuxième levier est l’efficacité énergétique : le progrès technique permet aux machines électriques, un moteur par exemple, de délivrer le même service en utilisant moins d’électricité. D’après nos études, ces deux leviers représentent environ 85 % du chemin à parcourir. Les 15 % restants nécessitent des changements de comportement, c’est la sobriété. Si je reprends l’exemple de la voiture, c’est la préférence pour le covoiturage !
L’idée qu’un fournisseur d’énergie préconise la sobriété énergétique n’est pas forcément intuitive ? Quelle place occupe-t-elle dans la vision d’EDF ?
Il n’y a pas de paradoxe pour EDF à appeler à une moindre consommation d’énergie. La consommation d’énergie totale doit baisser dans les années à venir, mais dans le même temps, le déclin du recours à l’énergie fossile sera partiellement compensé par une forte croissance de l’électricité. Nous ne serions pas responsables si nous ne cherchions pas à minimiser autant que possible cette croissance de la demande électrique. Bien sûr, nous serons en mesure de produire de l’électricité faible en CO2, mais pour la produire, les impacts de nos installations sur les territoires, les sols, la biodiversité ou le recours en eau qu’elle suppose ne sont pas négligeables. De ce point de vue, nous avons démontré qu’un mix équilibré entre les énergies nucléaire et renouvelables est la solution la plus efficace et la plus vertueuse en termes d’impacts.
Comment l’entreprise s’engage-t-elle aujourd’hui pour la sobriété énergétique ?
EDF fait ce travail à trois niveaux. D’abord, et comme toute entreprise désormais, nous agissons sur le fonctionnement au quotidien de l’entreprise avec ses salariés, sur la manière dont nous nous chauffons ou nous déplaçons par exemple. Nous avons mis en place un plan de sobriété interne dont l’objectif est de réaliser 10 % d’économies en matière d’énergie. Il intègre un certain nombre d’actions ciblées : température à 19 °C bien entendu, promotion de l’utilisation de la téléconférence pour limiter les déplacements mais suspension des fonctionnalités vidéo pendant les périodes de forte Alexandre Perra est directeur exécutif du Groupe EDF en charge de l’Innovation, de la RSE et de la Stratégie. Il revient sur la place de la sobriété dans la construction d’un monde durable. demande électrique, bascule automatique de l’ensemble de notre parc de 30 000 ordinateurs portables sur batterie. Nos salariés équipés de téléphones portables professionnels reçoivent des notifications, en fonction des alertes vigilance RTE, qui les invitent à mettre en place des éco-gestes adaptés dans leur vie quotidienne. Tout cela n’est au final qu’une forme d’hygiène qui a vocation à perdurer.
Le deuxième pan de la sobriété chez EDF touche à la manière dont les produits, les offres, les services sont conçus. Nous avons engagé un travail d’écoconception afin d’abaisser notre empreinte carbone, ou tout autre impact environnemental. C’est un effort que nous étendons à l’ensemble de la chaîne de fournisseurs. Parce que nous sommes par exemple un grand utilisateur de béton, nous sommes engagés aux côtés du groupe cimentier international Vicat pour faire émerger des solutions innovantes qui permettent de décarboner la production de béton tout en produisant un nouveau type de combustible bas carbone, à base d’hydrogène, pour le transport maritime !
La troisième dimension concerne nos clients. L’approche d’EDF, liée à notre mission de service public, est d’accompagner nos clients vers plus de sobriété. Notre programme d’écogestes permet à ceux qui le suivent de diminuer de plus de 10 % leur consommation d’énergie et donc leur facture, ce qui est un bon signal. L’enjeu est d’aider des clients qui vont être confrontés à une augmentation des usages électriques à maîtriser cette hausse.
Quels sont aujourd’hui les freins à l’avènement d’une société sobre en énergie ?
Plutôt que de parler de freins, je préfère voir les choses positivement et parler de leviers à activer. Il s’agit d’abord de tenir un discours rationnel afin que nous comprenions tous pourquoi la sobriété est nécessaire à l’atteinte de la neutralité carbone en 2050. Ce qui fait souvent défaut, c’est une approche écosystémique des enjeux : ceux liés aux gaz à effet de serre sont essentiels, mais il faut aussi tenir compte de l’artificialisation des sols, de l’effondrement de la biodiversité, de la rareté des ressources en l’eau, de la qualité de l’air… C’est bien le problème dans sa globalité qu’il s’agit de comprendre pour le résoudre.
Il faut aussi rendre la sobriété désirable : certains redoutent qu’elle nous fasse régresser. Si, dans sa Raison d’être, EDF a placé sur un même plan la préservation de la planète, le bien-être de nos clients et le développement des sociétés, c’est parce que fondamentalement, nous ne croyons pas à l’opposition entre sobriété et progrès. Être capables de satisfaire nos besoins sans le faire au détriment de la planète est en soi un progrès sur le plan de l’éthique. Cela suppose de faire avancer la science et les techniques au même rythme. Sans compter qu’il n’y aura pas de sobriété sans beaucoup d’innovation. Il faut inventer les business models qui accompagnent le changement de comportements. Je pense par exemple à l’économie du partage qui permet d’allier bien-être et sobriété. Autrement dit, la sobriété est un territoire neutre à partir duquel tout un imaginaire est à invente
Vous abordez la question des imaginaires. Est-ce quelque chose qui se commande ?
Il faut nourrir la boucle vertueuse entre les attentes grandissantes des consommateurs et les entreprises, qui doivent être capables de concevoir et de valoriser des produits plus sobres et désirables. Manger local coûte un peu plus cher, mais faire ce choix satisfait aussi un besoin d’estime chez le client. La publicité a également un rôle à jouer dans l’évolution des imaginaires. Si des créatifs talentueux ont réussi à convaincre une génération entière que fumer faisait de vous un « cow-boy » enviable, je n’ai pas de doute que le même talent réussira à déclencher des choix de consommation vertueux. C’est tout un système qui est entré en transition, et les entreprises ont bien sûr un rôle essentiel à jouer.