Robert Costanza - Économiste, professeur à l’École de politique publique de Crawford (Australie)
© CAPA Pictures/Kasey Funnell
Notre économie est-elle liée aux écosystèmes ?
Janvier 2022
Économiste et professeur à l’École de politique publique de Crawford (Australie), Robert Costanza a très tôt valorisé, avec des chiffres précis, les services apportés par les écosystèmes naturels à l’économie humaine. Comment la biodiversité peut-elle devenir un atout dans le développement des sociétés ? Pourquoi l’Homme a-t-il du mal à l’intégrer dans ses modes d’action ? Analyse et pistes de solutions avec l’un des pères du concept d’économie écologique.
Économie et écologie se sont longtemps regardées de loin. Aujourd’hui, il paraît impossible de ne pas lier l’une et l’autre. Comment expliquer cette évolution ?
Robert Costanza - D’abord par la simple logique. L’activité économique des Hommes se déploie dans un cadre fini et délimité : le monde, la nature. Il est donc absurde de les dissocier. Peu à peu, une idée importante s’est affirmée dans les discours des économistes écologiques, celle des « services de la nature », apparue en 1977 sous la plume de Walter Westman. Un pas capital puisque l’on identifiait une contribution concrète de l’environnement dans l’économie.
En 1997, nous avons approfondi cette notion dans l’article « La valeur des services écosystémiques et du capital naturel du monde », dans lequel j’ai tenté de cerner la valeur des services fournis par l’écosystème mondial.
Qu’entendez-vous par les « services » de l’écosystème ?
R. C. - Ce sont les caractéristiques et les fonctionnements écologiques qui, directement ou indirectement, contribuent au bien-être des Hommes. Nous en retirons des bénéfices extrêmement variés, qu’il s’agisse d’approvisionnement (l’eau, la nourriture, les matières brutes...), de régulation (la régulation climatique, l’irrigation naturelle, la formation des sols...), de biodiversité ou d’une dimension plus « culturelle » (activités de plein air...).
Le bon fonctionnement des écosystèmes naturels est essentiel au bien-être humain. Mais nous en arrivons à détruire la biodiversité. On prétend souvent que l’intérêt guide l’être humain mais, en l’occurrence nous agissons contre notre intérêt. Pourquoi ?
R. C. - Plaçons-nous dans une perspective historique : après 1945, il était urgent de reconstruire, de stimuler la croissance. La hausse du produit intérieur brut (PIB) constituait donc un enjeu majeur. Elle correspondait à celle du sentiment de bonheur, de confiance en l’avenir. Mais ces deux courbes évoluent aujourd’hui indépendamment. Une conséquence de l’envolée terrifiante des inégalités. La hausse des richesses ne bénéficie plus qu’à une infime partie de la population. Pour autant, nous n’avons pas changé d’indicateur.
Le PIB reste le baromètre. Il faut tenir compte de nouveaux paramètres, indépendants du marché économique, pour atteindre un bien-être collectif, ce qui reste tout de même le but de l’économie, ne l’oublions pas. Des outils comme l’indicateur de progrès véritable ou l’indice de bien-être durable ont vu le jour.
L’environnement, la biodiversité tiennent un rôle décisif dans cette quête. En 2011, nous avons évalué le montant des services de l’écosystème à 125 milliards de dollars par an. Selon nos études, la destruction des écoservices entre 1997 et 2011 aurait représenté une perte de 4,3 à 20,2 milliards par an. Ce que nous supprimons dans la nature ne réapparaît pas et, si nous voulons – ou pouvons – le reconstruire, cela nécessite un budget important.
Dans tous les cas, l’atteinte aux écosystèmes représente avant tout un risque pour les Hommes, comme le prouvent le dérèglement climatique et la montée en puissance de la pollution, et se traduit aussi par une perte économique.
Quelles initiatives ont retenu votre attention ces dernières années ?
R. C. - Il y en a beaucoup. Le plus important est de parvenir à créer des passerelles, à unir les forces. À ce titre, la Wellbeing Economy Alliance et le partenariat Wellbeing Economy Governments, réunissant l’Écosse, l’Islande, la Nouvelle-Zélande et le Pays de Galles, sont très intéressants. Ces pays se sont accordés sur une vision : le développement du XXIe siècle doit rechercher avant tout le bien-être environnemental des citoyens. Ils mettent ensuite en commun les projets et les solutions. À cette échelle, les décisions ont un réel impact.