Bruno David - Président du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), naturaliste
© CAPA Pictures/Alexandre Dupeyron
Pouvons-nous encore passer à l'action ?
Janvier 2022
Président du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), naturaliste, Bruno David observe les écosystèmes vivants depuis de très nombreuses années. Alors que la protection de la biodiversité s’impose comme un enjeu essentiel pour l’avenir de l’Homme, il met l’accent sur l’urgence d’un passage à l’action : « rien n’est irréversible, nous devons favoriser à tout prix la prise de conscience ».
La notion de biodiversité est aujourd’hui au cœur de nombreux débats. Comment la définiriez-vous ?
Bruno David - On croit connaître et comprendre l’idée de biodiversité. Mais il s’agit d’un concept à la fois simple et compliqué. La biodiversité est le tissu vivant de la planète. Cette image met en évidence l’entrelacement de liens au fondement du vivant.
Très souvent, les débats se concentrent sur le nombre d’espèces différentes, donc sur l’idée de richesse. Une dimension capitale mais pas suffisante. L’abondance – la mesure du nombre d’individus dans chaque espèce – s’avère également importante. Une notion qu’il faut ensuite compléter par celle des rapports d’abondance, pour déterminer les équilibres entre les populations des différentes espèces. Richesse, abondance, rapport d’abondance... l’articulation de ces trois idées permet de mieux cerner les enjeux.
Comment mesurer l’ampleur du problème ? A-t-on franchi un cap irréversible ?
B. D. - Le nombre d’espèces éteintes depuis deux cent ans reste très limité et n’a pas dépassé 2 % à 3 %. En revanche, l’abondance de nombreuses espèces a énormément diminué. Par exemple, 30 % à 40 % des oiseaux ont disparu en trente ans. Et le rythme n’a cessé de s’accélérer. Par rapport aux grandes crises précédentes de l’histoire de la vie sur Terre, nous allons 100 à 1 000 fois plus vite. Et si l’abondance diminue de plus en plus rapidement, on en arrivera logiquement un jour à l’extinction pure et simple d’animaux et de végétaux. Pour résumer, nous sommes encore éloignés du mur mais nous avançons vers lui plus vite que jamais.
Le climat s’est imposé comme un sujet depuis des années, alors que la défense de la biodiversité apparaît presque comme une nouveauté. Pourquoi la prise de conscience a-t-elle été si tardive ?
B. D. - Parce que le phénomène climatique se comprend plus facilement. Il fait plus chaud, plus sec, plus humide… autant de constats que l’on peut aisément observer. Alors que la dégradation de la biodiversité est moins visible, plus complexe. Le vivant évolue depuis des millions d’années, de façon imprévisible. Il surprend, change, s’adapte. C’est pourquoi les arguments technophiles de certains me paraissent parfaitement illusoires. « Ne changeons rien à notre mode de vie, nous trouverons une solution technique. L’Homme y est toujours parvenu. » Prétendre ainsi gérer le vivant est d’une arrogance sans limite. Et c’est voué à l’échec.
Quelles sont, selon vous, les actions à mener en priorité ?
B. D. - D’abord, informer, expliquer, communiquer toutes les données pour favoriser la prise de conscience de chacun. Chaque citoyen peut exercer sa responsabilité pour la défense de la biodiversité. Ensuite, nous avons la possibilité de provoquer des changements collectifs, par le vote, par la démocratie. Entre ces deux stades, se trouve le dialogue avec les entreprises. À mon avis, il a été trop longtemps négligé dans la protection de la biodiversité. Les entreprises possèdent les moyens financiers et sont capables d’agir vite. Mais, avec chaque interlocuteur, la clé reste la force de conviction. Culpabiliser ne sert à rien. Montrons plutôt clairement ce que chacun, à son échelle, peut faire concrètement.